C.Gomez: Conférence Neuchâtel

28 mai 2013

L’EURO A-T-IL TUÉ LA FRANCE?

LA FRANCE, VA-T-ELLE TUER L’EURO ?

 

LA MAISON DE L’EUROPE TRANSJURASSIENNE

NEUCHÂTEL

CONFÉRENCE DU 22 FÉVRIER 2013

 

LE TEXTE PRÉSENTÉ ICI A SERVI DE CANEVAS À LA CONFÉRENCE

IL CONTIENT DONC DE NOMBREUX DÉVELOPPEMENTS ET CHIFFRES

QUI N’ONT PAS ÉTÉ DONNÉS DANS L’EXPOSÉ ORAL

CHRISTIAN GOMEZ*

 L’euro a-t-il tué la France ?  La réponse est non car la France était déjà dans un processus d’affaiblissement qui remonte loin dans le temps, à sa gestion de la cassure de la croissance économique depuis 1974 plus précisément.  L’euro n’a fait que lui permettre de se détériorer plus encore en éteignat pour un temps tous les signaux d’alarme.

La France va-t-elle tuer l’euro ? La France est-elle « The Time Bomb at the Heart of Europe” comme le proclamait l’hebdomadaire “The Economist” (17 Novembre)? Il y a de fortes chances , en effet qu’elle le soit car elle rencontrera trop de difficultés politiques et sociologiques pour prendre à temps les mesures nécessaires.

Telle est la thèse qui est défendue dans cette conférence.

I-                 LA FRANCE, DES PROBLÈMES QUI REMONTENT LOIN DANS LE TEMPS , À LA RUPTURE DE LA CROISSANCE EN 1974.

11- Les éléments du drame français recomposés

·        La construction d’une « forteresse sociale » consolidée au fil des ans (poussée salariale continue, impact catastrophique du SMIC, cotisations sociales, faiblesse du temps de travail, code du travail)

·        Maintien et entretien d’un chômage de masse apparent et caché (traitement social, mise en place de parkings, inflation de « faux emplois » dans les administrations et les associations subventionnées par l’argent public) => chômage structurel de masse réfractaire à tout traitement de type « keynésien »

·        Une gestion laxiste des finances publiques et une grande insouciance par rapport à la montée de la dette publique

·        L’affaiblissement des entreprises et la destruction de l’industrie

   12-  Le drame français dans son interaction avec l’euro

·        Période de préparation 1992-1998 : un processus qui fut une chance et une contrainte

·        Premières années de l’euro : D’abord une drogue douce qui tourne vite au cauchemar

 

II-                LA FRANCE, UNE « TIME BOMB AT THE HEART OF EUROPE » ?

21- La situation de la France aujourd’hui: un constat très sombre

·        Des coûts salariaux unitaires en dérapage et en décalage complets

·        Une industrie étranglée aux performances médiocres et insuffisamment innovatrice

·        Des entreprises surchargées, prises entre le marteau de la concurrence internationale et l’enclume de coûts difficilement compressibles

·        Un état « diplodocus » au poids de plus en plus écrasant, de plus en plus paralysant et de plus en plus déstabilisant

·        Un déficit extérieur considérable avec des capacités de réactions amenuisées compte tenu de l’effondrement de son secteur manufacturier 

·        Des perspectives sociales désastreuses à court, moyen, long terme

     22- Le destin de l’euro est lié à la situation française,  pour le meilleur et ….probablement pour le pire

·        Les gouvernements successifs et, plus largement, le corps social français ont-ils pris la mesure de la situation ?

·        La France a besoin d’une « thérapie de choc » à tous les niveaux

·        Des doutes sur la France et c’est tout l’édifice qui s’écroule….

                                                           *******************

 

                                                                  Conclusion

Nous sommes aujourd’hui très mal partis et il est difficile de trouver des arguments contraires qui pourraient laisser entrevoir quelques raisons d’espérer une amélioration prochaine

Les atouts « naturels » de la France (positionnement géographique, qualification de la main-d’œuvre, infrastructures, coût de l’énergie) ont été gâchés par des politiques démagogiques et sans vision qui ont accumulé les désavantages comparatifs et englué la France dans une médiocrité générale dont elle aura le plus grand mal à se sortir.

Quant à sa démographie, si souvent vantée en désespoir de cause, c’est un argument de journaliste car toutes les projections montrent que la population en âge de travailler n’augmentera pas dans les prochaines années. Il faudrait augmenter significativement le taux d’emploi améliorer le potentiel de croissance et le mode de financement de la Sécurités sociale,  mais pour cela il faudrait mettre en œuvre les réformes drastiques qui ont été esquissées plus haut.

Certes, les marchés apparaissent aujourd’hui plutôt cléments à l’endroit de la France si l’on en croit l’évolution des taux d’intérêt. Mais, là encore, il convient d’être prudent vu l’impact des banques centrales à la fois directement ( les achats de la Banque Nationale Suisse ou de la Banque du Japon par exemple) et de la renationalisation des marchés de capitaux. Vu la situation française, nous ne pouvons qu’approuver P. Artus (Natixis) quand il prédit à son propos : « Les Marchés, un jour ou l’autre vont s’en apercevoir ».

Et alors, la fin de l’euro sera proche. Sera-ce une si mauvaise éventualité?  Un sujet trop vaste et trop complexe pour être abordé maintenant. Rappelons-nous simplement les circonstances de l’abandon du Gold-standard dans l’entre-deux guerres. Il a fallu plus de 10 ans à la plupart des pays pour prendre la décision de le quitter. Et les premiers qui l’ont fait ne se sont portés que mieux en reprenant la maîtrise de leur destin !

=============================

Article au complet: CONFNEUCHATELv2(1)

________________________________________________________________

A signaler:

PARUTION  D’UN ARTICLE DE CHRISTIAN GOMEZ DANS UN OUVRAGE RÉCENT

LE CAPITALISME FINANCIER OU COMMENT UN SYSTÈME INSTABLE DEVIENT EXPLOSIF

La crise financière et la création de liquidités

 

IN

HEURS ET MALHEURS DU CAPITALISME

Sous la direction d’Arnaud Diemer, Daniela Borodak et Sylvie Dozome

ÉDITIONS OECONOMIA, JANVIER 2013, 247 PAGES

 

La dernière crise dans laquelle nos économies sont engluées depuis 2007 n’est pas que la conséquence de quelques aberrations avérées, comme la titrisation des « subprimes », mais elle est aussi, et surtout, le dernier avatar des crises financières qui ont ponctué l’évolution des économies de marché depuis des décennies et qui renvoient toutes au fonctionnement fautif d’un système bancaire fondé sur le principe des réserves fractionnaires et sur les mécanismes du crédit qui en découlent.

Dans cet article, l’auteur montre que l’on retrouve dans cette crise les grands traits de la crise financière « classique » mais que les conséquences de ceux-ci ont été encore aggravées par l’émergence d’un système bancaire parallèle encore plus dangereux que «l’officiel », des «innovations» financières menées sans aucune réflexion sur leur impact sur les liquidités et une perte de contrôle de ces dernières dans le cadre d’une politique monétaire impuissante et d’un système financier international défaillant.

C’est ainsi que, face à la crise de l’intelligence qu’a connue la science économique au cours des trois dernières décennies, avec le règne sans partage d’idéologies pseudo-scientifiques, l’auteur en appelle à une nouvelle réflexion sur la notion même de liquidités et sur les moyens de leur contrôle et invite à renouer avec cette tradition qui de Ricardo à Allais, en passant par Mises, Hayek, Fisher, Friedman, Tobin et Minsky, n’a eu de cesse que de proposer une réforme en profondeur du système financier pour réguler l’évolution des économies de marché, magnifier l’esprit entrepreneurial du capitalisme et limiter drastiquement les délires spéculatifs, comme ceux que nous avons connus ces dernières années, qui cassent les ressorts mêmes de nos économies et corrompent nos démocraties.

 


Rueff, Allais, Artus

29 novembre 2012

Cet article étant, du fait des graphiques, très difficile à transformer dans un format lisible sur le blog, nous avons décidé de le laisser en téléchargement pdf  sur ce lien . (6,7 Mo, c’est assez long…)
Nous nous contentons donc ici d’en copier l’introduction.

_______________________________

Christian GOMEZ
Note de Travail
Version1/working paper
1
st Draft/24/11/2012

CHÔMAGE ET COÛTS SALARIAUX: LE RETOUR DE LA “LOI DE RUEFF”

Il y a en économie quelques « lois d’airain » que, bien entendu, les « progressistes » de toutes nuances refusent d’admettre et ne songent qu’à subvertir car elles se mettent sans cesse en travers de leurs utopies et sont des forces de rappel irrésistibles contre leurs divagations. Elles ne se manifestent souvent qu’à travers les conséquences catastrophiques que leur violation a entrainées. La faillite des expériences socialistes est là pour nous le rappeler. Et, parmi ces lois, il y en a une qui, depuis quelques années dans les pays occidentaux, beaucoup plus récemment en France, revient sur le devant de la scène de l’actualité : c’est la relation qui établit que les coûts salariaux, quand ils ne sont pas en ligne avec la productivité de l’économie ou trop rigides pour s’adapter aux conditions de l’offre et de la demande de travail, sont la cause principale du chômage et, en particulier, d’une de ses formes les plus pernicieuses et persistantes : le chômage chronique. Un chômage différent du chômage technologique/frictionnel qui est un coût d’adaptation au changement et que traduisent les flux « normaux » interentreprises et intersectoriels de salariés pour une durée de recherche « normale ». Un chômage différent aussi de celui résultant des fluctuations conjoncturelles de la dépense globale (chômage conjoncturel) ou de celui qu’une politique différente en matière de commerce international parviendrait à réguler, voire à combattre (chômage de type « mondialiste » comme l’appelait Maurice Allais). Dans cette brève note, en partant du travail fondateur de Rueff et des recherches de Maurice Allais, il est possible de montrer comment les préoccupations fondamentales qui guidaient ces deux grands économistes s’expriment aujourd’hui à travers les recherches d’un des très rares brillants économistes français cumulant la dextérité théorique  avec une connaissance approfondie des faits: Patrick Artus.


C.Gomez – chômage et coûts salariaux

17 novembre 2012

Cet article en pdf                                                                                                                                               

Christian GOMEZ (11/11/2012)

CHÔMAGE ET COÛTS SALARIAUX: UN PROBLÈME NOUVEAU?

Comment Maurice Allais fut parmi les premiers (avec Jacques Rueff) à le déceler  et à chercher à l’estimer dans la période post-1968

Apparemment, la classe politique française et nombre d’économistes découvrent que des coûts du travail trop élevés peuvent être à la racine des problèmes dans lesquels s’enlise l’économie française depuis des années, sans doute depuis les années 70, et qui n’ont fait qu’empirer dans l’aveuglement général des acteurs économiques et politiques  de gauche (partis, syndicats) comme de droite, un aveuglement renforcé hélas par le silence gêné de la plupart  des économistes soumis au conformisme du moment et aux idéologies ambiantes. Pourtant dès la fin des années 70, deux économistes, parmi les plus grands, s’étaient levés pour alerter les français du péril que leur comportement collectif engendrait: jacques Rueff[1] et Maurice Allais[2], sans que leurs appels ne rencontrassent aucun écho. Une situation que devait continuer à connaitre par la suite  Maurice Allais qui, à partir de la fin des années 90, ne  cessa de sonner le tocsin, conscient que la mondialisation menée à marche forcée par des « élites » inconscientes et, surtout, ignorantes, allait complètement ruiner un pays déjà complètement sclérosé et paralysé par des rigidités de toutes sortes, dont la rigidité salariale en particulier.

 Dans cette brève note, il s’agira de se concentrer sur Maurice Allais, qui a présenté  les modèles du taux de chômage les plus élaborés en 1981 et 1999, pour bien mettre en évidence  l’importance qu’il accordait aux coûts du travail dans l’explication du fléau du sous-emploi. Nous mentionnerons bien sûr son intérêt croissant pour le chômage « mondialiste » (résultant de la mondialisation) à partir des années 90 en restant succinct sur les critiques que nous inspire son traitement du sujet[3].

LE MODÈLE DE 1981: UN CRI D’ALARME QUE LES SOCIALISTES NE POUVAIENT PAS ENTENDRE ET LEURS ÉCONOMISTES COMPRENDRE.

Voyant le dérapage du chômage dans les années 70, l’approche d’Allais fut d’en rechercher les causes en partant d’un modèle extrêmement classique (au sens de « traditionnel ») distinguant trois formes de chômage:

–      Le chômage technologique, considéré comme un mouvement continu et régulier induisant des flux d’entrées-sorties sur le marché du travail et donc un taux de chômage frictionnel relativement stable (a priori de l’ordre de 2% par an au vu des taux de chômage observés sur longue période)

–      Le taux de chômage conjoncturel, lié à la conjoncture et donc suivant en cela les fluctuations de la demande globale (approximées dans le modèle par les écarts à la tendance du PNB réel)

–      LE CHÔMAGE STRUCTUREL OU CHRONIQUE, dû à une évolution des salaires réels déconnectée de la celle de la productivité globale des facteurs, et non de la seule productivité du travail car il convient dans ce cas de prendre bien en compte la croissance du surplus distribuable liée à une plus grande efficience de l’ensemble de l’économie.

Cet indicateur de déséquilibre salarial montre bien le dérapage provoqué par la crise de 1968 et la gabegie qui a suivi, essentiellement sous la houlette de Giscard d’Estaing et de son premier ministre d’alors, Jacques Chirac, une gabegie que Raymond barre fut dans l’impossibilité de maitriser compte tenu de la force des syndicats et de la perspective d’une arrivée de la gauche au pouvoir. On comprend dès lors pourquoi la réalisation de cette éventualité en 1981 et la  mise en œuvre des promesses de la gauche conduisirent le pays au chaos jusqu’au tournant de la « rigueur » en 1983.

Et, comme le montre le graphique , la  conjonction de la composante conjoncturelle ( les fluctuations économiques) et du facteur structurel ( les excès de croissance salariale) dans le cadre du modèle général proposé par l’auteur permettait une représentation presque parfaite du phénomène sur une période de 26 ans (1952-1978), avec deux variables explicatives et trois paramètres arbitraires à estimer, dont la constante (représentative du chômage frictionnel/technologique) qui ne pouvait être très éloignée de 2%, ce qu’elle fut (2.2%).

Selon le schéma d’analyse proposé par Allais, il était donc possible de décomposer le taux de chômage observé en 1978 (tab), c’est-à-dire quasiment à la veille de l’arrivée de la Gauche au Pouvoir.

On comprend mieux l’échec de cette dernière en 1981 dû à un contresens quasi-total sur la nature du chômage à cette époque.

Une relance par les salaires pour activer la consommation et combattre ainsi le chômage ne pouvait que conduire  à plus de chômage, plus d’inflation, plus de déficit extérieur. Ce qui advint.

II-LE MODÈLE DE 1999 : L’INTRODUCTION DU « CHÔMAGE MONDIALISTE » RÉSULTANT DE LA LIBÉRALISATION DES ÉCHANGES INTERNATIONAUX, UN APPEL SANS ÉCHO FACE À LA PRÉGNANCE DE LA VULGATE « LAISSER-FAIRISTE »

Par rapport à celui de 1981, le modèle  présenté dans l’ouvrage de 1999 continuait à traiter identiquement le chômage technologique (supposé constant) et le chômage conjoncturel  (écarts par rapport à la tendance du PIB à prix constants), mais allait s’en différencier par deux aspects importants :

1) La prise en compte d’un indicateur des conditions salariales  différent : il s’agit du rapport du SMIG/ SMIC au salaire horaire moyen ouvrier au lieu du rapport (plus attractif intellectuellement) du coût salarial global (en valeur réelle) à la productivité globale des facteurs[4]. Comme l’écrit Allais : « Faute de mieux, et au moins en première approximation, on peut prendre comme indicateur global des facteurs sociaux générant du chômage (charges salariales globales, minima de salaires, rigidités du marché du travail et chômage volontaire), le rapport r du SMIG (Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti institué le 11 février 1950), remplacé le 2 janvier 1970 par le SMIC (Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance) au salaire horaire moyen. En fait, tous les avantages sociaux sont en relation avec ce rapport. » (Allais, 1999, p.163).

2)  L’introduction d’un indicateur composite de l’effet d’éviction du facteur travail en France par les importations extracommunautaires, par la prise en compte de l’équivalent en heures de travail français des importations extracommunautaires de produits manufacturés (valeur des importations en produits manufacturés divisée par le salaire ouvrier moyen) mis en base 1 en 1974. En effet, l’explosion du sous-emploi en France à partir des années 80 ne pouvait s’expliquer, selon Allais, par le seul facteur « coût du travail » et il était convaincu qu’un autre facteur était intervenu en conjonction avec ce dernier qui ne pouvait être que « l’effet du libre-échange mondialiste aggravé par les effets pervers du système des taux de change flottants et de la libéralisation mondiale des mouvements de capitaux… » (Allais, 1999, p.166). Pour lui, l’indicateur utilisé synthétisait tous ces effets, au moins en première approximation, car « une analyse approfondie devrait en dissocier leurs influences respectives » (Allais, 1999, p.166).  Comme le montre le graphique ci-joint, on constate une très nette accélération à partir des années 70 et la conclusion d’Allais était que c’était un facteur primordial de la RUPTURE DE LA CROISSANCE CONSTATÉE EN 1974 et donc de l’accélération du chômage à partir de cette date, en sus des effets liés aux coûts salariaux.

Ainsi, avec un modèle combinant les différents types de chômage, tels qu’estimés par l’auteur : Technologique, conjoncturel, chronique, mondialiste, certains d’entre eux (chronique et mondialiste)  intervenant à partir de seuils directement estimés empiriquement par un processus d’optimisation[5], Allais cherchait à expliquer le sous-emploi des ressources de main d’œuvre mesuré par deux concepts :

–         Le taux de chômage au sens du BIT

–         Le taux de  sous-emploi total, beaucoup plus important, car incluant, outre le taux de chômage officiel, l’ensemble des personnes traités socialement (dans l’emploi marchand aidé : les personnes dont les charges sont tout ou partie exonérées de cotisations, les contrats aidés de toutes sortes…… ; dans l’emploi non marchand : les travaux d’utilité collective, les contrats emploi-solidarité, les stages d’insertion, les cessations anticipées d’activité, les dispensés de recherche d’un emploi….) , soit pour l’année 1997, un ensemble avoisinant 25% de la population active !

Pour le sous emploi total, Allais aboutissait à une estimation des différentes composantes du chômage du type suivant :

Pour le taux de chômage au sens du BIT, les ajustements étaient comparables mais les estimations des poids des différentes composantes diffèrent dans la mesure où chômage chronique et chômage mondialiste ont un poids à peu près équivalent. La raison réside probablement dans la sous-estimation du développement du sous-emploi total au cours de cette période en raison de la mise en œuvre de toutes ces politiques très dispendieuses de traitement social

du chômage.

Moyenne des années 1995-1997 (p.467)Politique sociale41%Mondialiste48%Conjoncturel1%technologique10%Total100%

Conclusion

Ce que montrent les études d’Allais, comme par ailleurs les mises en garde de Rueff, c’est que le problème des coûts salariaux aurait dû être mis sur la place publique depuis bien longtemps. Songer que l’on puisse manipuler une variable aussi importante que le coût du travail pour des raisons politiques et/ou idéologiques est une ineptie qui, malheureusement fait partie du folklore français, et plus généralement des conceptions socialisantes inspirées du marxisme. Le coût du travail est une variable économique qui doit se fixer pour les différentes qualifications sur des marchés où s’ajustent l’offre et la demande. Que le salaire et le revenu des salariés soit par ailleurs une variable « sociale » ayant une composante « éthique » est un autre problème qui relève  de la redistribution des revenus. Si certains salaires ou certains revenus familiaux sont jugés éthiquement insupportables, il est toujours possible de compenser le manque à gagner par des allocations ad hoc financées par des ponctions sur les autres revenus (impôts) et non en manipulant le prix du travail. Cela a toujours été la position des grands « libéraux » comme Friedman et Allais. Là-dessus, se greffe le problème de l’impact des échanges internationaux, de marchandises et de capitaux, sur les conditions salariales lorsque les échanges se font avec des pays à bas coûts salariaux et à capacités technologiques, mais sa solution relève d’une approche complètement différente.

Il est clair qu’avec des travaux comme ceux de Maurice Allais, nous sommes invités à nous interroger  sur l’importance de ce facteur et il est considérable :

–                  Avec le premier modèle, à mon avis le plus incontestable, le taux de chômage chronique lié à des coûts salariaux « trop » élevés représentait à la fin des années 70 environ 40% du taux de chômage global. Partant d’une situation de plein emploi, voire de suremploi, l’impact de la « gabegie » salariale de ces années là, mesuré par le rapport coût salarial/productivité globale des facteurs, apparait avec la clarté d’une épure ;

–                  Avec le second modèle,  très contestable, la réduction, voire son maintien avec les données BIT,  du poids du chômage chronique au profit du « chômage » mondialiste devrait à mon avis être révisée dans le sens de la hausse.  En effet, il y a dans cette approche des erreurs de principes à corriger et une bonne part de l’indicateur du « chômage mondialiste » capte en fait tout autre chose qui relève plus du chômage chronique (non flexibilité des salaires face à un afflux de main d’œuvre) qu’à un phénomène de mondialisation dont l’impact n’a pu véritablement se faire sentir qu’à partir du milieu des années 90[6].

Ainsi avec la crise mondiale de 2007 et la crise de l’euro, les lois d’airain de l’économie classique reviennent en force et, en premier lieu, ce qu’il est convenu d’appeler la « Loi de Rueff ».  Au-delà des moulinets de politiciens apeurés par l’importance du problème, qui appellent par des incantations quasi-magiques à « la croissance », à « l’investissement » ou à « l’innovation » pour combattre le chômage, il y a ce fait incontournable : le chômage sera d’abord combattu en redonnant au marché toute la liberté pour s’ajuster, en cessant de jouer avec les salaires et les coûts salariaux comme avec des hochets idéologiques (« un petit coup de pouce » par ci, « un petit coup de pouce » par là). Ce facteur, associé à tout ce délire de protection de l’emploi « en place » a mené l’économie française au bord du gouffre et a conduit des générations de jeunes français (et européens car beaucoup d’autres pays souffrent ou ont souffert des mêmes maux) au désespoir en les privant d’avenir. Il est temps de faire la grande lessive qui a déjà débuté dans de nombreux pays. Elle sera douloureuse mais salutaire.


[1] Jacques Rueff: « la fin de l’ère keynésienne », Le Monde, 19 et 20/21 Février 1976

[2] Maurice Allais : Le chômage et les charges salariales globales, Le Monde, 14-15 juin 1981, et ses différents ouvrages notamment: Combats pour l’Europe (1994 et 2002) et La Mondialisation, La Destruction de l’emploi et de la croissance(1999) aux Éditions Clément Juglar].

[3] Nous y reviendrons dans une note ultérieure car cette critique nécessite  des développements  qui seraient trop longs ici.

[4] En tout état de cause, l’établissement d’une série de  la productivité globale des facteurs nécessitait de disposer d’une équipe suffisamment compétente pour la calculer, ce qui était hors de portée de Maurice Allais en 2000 qui, rappelons-le, approchait les 90 ans et ne disposait plus que d’une aide matérielle limitée à l’Ecole de Mines.

[5] Dans le modèle, les composantes chronique et mondialiste, X et Y, sont estimées par des indicateurs x et y qui ne sont pris en compte qu’à partir de seuils x0 et y0 qui sont déterminés de telle manière que la corrélation soit maximum. Ainsi les variables (x-x0) et (y-y0) prennent une valeur nulle pour x<x0 et y<y0 et ne commencent à s’incrémenter qu’à partir des seuils x0 et y0.

[6]Comme déjà indiqué, nous reviendrons plus tard sur ce modèle et les problèmes qu’il pose.


Ch. Gomez: Pensée monétaire d’Allais et nationalisation de la monnaie

6 novembre 2012

LA PENSÉE MONÉTAIRE DE MAURICE ALLAIS ET LA NATIONALISATION DE LA MONNAIE

Pour comprendre les raisons qui ont poussé Maurice Allais à proposer des réformes fondamentales du fonctionnement de notre système économique et financier, il faut aller au cœur de sa pensée et détailler point par point son développement logique en partant des analyses des faits effectuées par l’auteur et les modèles empiriquement vérifiés qu’il a élaborés et qui lui ont permis d’en tirer toutes les conséquences tant du point de vue de la maitrise des fluctuations conjoncturelles que des conditions d’une politique monétaire optimale pour maximiser la croissance économique.

Vous trouverez ci-joint deux documents :

1)      Le premier est l’étude que j’ai réalisée pour une Conférence tenue en juillet 2012 (Joint Conference AHE, IIPPE, FAPE,  July 5 – 7, 2012, Paris, France) et dans laquelle une session était consacrée à une discussion des réformes proposées par Allais, non seulement la Réforme Monétaire défendue par moi-même, mais aussi la Réforme fiscale présentée par Arnaud Diemer et Jérôme Lallement.

Ce document est téléchargeable sur ce lien 1

2)      Le second, pour les lecteurs pressés  et comme introduction pour les autres, est l’exposé powerpoint que j’ai présenté et qui doit donner une bonne vue des thèmes évoqués.

Ce power point est téléchargeable sur ce lien 2

 Ce deuxième document devrait être plus explicite que le résumé succinct que vous trouverez ci-après.

 Bien entendu,  je vous en souhaite bonne lecture si vous êtes  intéressés et je reste à votre disposition pour en discuter avec vous.

                                                 Christian GOMEZ, 28/10/2012

  PRÉSENTATION GÉNÉRALE

En visant à interdire la création de monnaie par le mécanisme du crédit bancaire et à remettre ce pouvoir et ses bénéfices à la collectivité, la réforme monétaire proposée par Maurice Allais s’inscrit dans une longue tradition qui remonte en fait à Ricardo et aux tenants de la « Currency school ». Certes, à l’instar des économistes de Chicago (comme Henry Simons), de Fisher ou de Friedman, parmi beaucoup d’autres qui pourraient être cités, il ne s’agit pas de rétablir une couverture or des instruments de nature monétaire, contrairement aux « néo-autrichiens » dans la ligne de Mises ou Rothbard. Il s’agit pour Allais, à travers une couverture intégrale des dépôts par de la monnaie de base, de reprendre le contrôle de la monnaie pour trois raisons essentielles :

(1)     Faire en sorte que les mouvements, euphoriques ou dépressifs, de la psychologie collective n’entrainent, par leur impact sur les comportements de demande de monnaie (thésaurisation) ou de crédit, des fluctuations erratiques de l’activité économique, pouvant parfois déboucher sur des crises systémiques, avec leur cortège de désastres matériels et humains ;

(2)     Chercher les moyens de conduire une politique monétaire optimale pour maximiser le revenu réel par tête ou faciliter le fonctionnement du système économique ;

(3)     Mettre fin aux distorsions de revenu provoquées par la création monétaire privée et en redonner tous les bénéfices à la collectivité afin que celle-ci puisse les utiliser, par exemple, à des réductions d’impôts capables de maximiser le dynamisme entrepreneurial.

Au-delà de quelques divergences sur les modalités de mises en œuvre de la réforme, qui conduisent Allais à insister sur la nécessité de bien distinguer les banques de dépôt, (Compagnies de services monétaires) des banques de prêt dans la mise en œuvre de la réforme,  ce qui différencie ce dernier de tous les autres économistes épousant la même ligne de pensée,  c’est le fait que toutes ses propositions sont justifiées par les résultats empiriques, souvent impressionnants, de toutes les recherches qu’il a menées sur 40 ans dans le domaine monétaire : demande et offre de monnaie, interaction des deux comportements dans la génération des mouvements économiques normaux (fluctuations conjoncturelles) et aberrants (dépressions ou hyperinflations), facteurs explicatifs de l’évolution des taux d’intérêt et analyse de son l’impact  sur la structure capitalistique des économies… Dans tous les cas, une ligne directrice  domine sa pensée : la psychologie des agents est essentiellement fonction des expériences passées avec, peut-être, des influences de nature exogène, et  ses variations, aussi faibles soient-elles, sont profondément déstabilisatrices et ce d’autant plus que les banques sont libres de répondre de manière « élastique » aux « humeurs » des agents économiques. D’où la nécessité de mettre tout en œuvre pour que l’environnement institutionnel tende à amortir l’influence des « esprits animaux » plutôt qu’à l’amplifier,  ce que traduisent ses propositions de réforme du système bancaire et des marchés financiers, comme  son insistance à créer une monnaie de compte stable à travers l’indexation.

C’est par tous ces aspects que l’on peut dire que, si Allais est bien inscrit dans une tradition, il la renouvelle par ses apports et dans une certaine mesure il la refonde en lui redonnant sa modernité.


Gabriel Galand

15 septembre 2012

Une monnaie à garantie totale,

une vieille idée qui fait son chemin

Gabriel Galand [1] (19 Mars 2012)

Résumé

Les crises financières du passé ont pour cause profonde une création monétaire incontrôlée. Pour résoudre les crises financières il faut donc contrôler la création monétaire et la retirer aux organismes bancaires, qui comme tous les acteurs de l’économie peuvent être victimes d’une bulle d’euphorie.

Les propositions de garantie totale de la monnaie, ou 100% monnaie, remontent au 19ème siècle, et ont été proposées sous forme pure ou équivalente par des économistes aussi connus que Walras, Ricardo, Von Mises, Fisher, Friedman, Allais, Minsky, Tobin.

La mise en œuvre du système est simple, notamment si comme nous le proposons, la garantie est donnée unilatéralement par la Banque Centrale. La régulation de la masse monétaire s’en trouve facilitée, ainsi que la régulation des taux de change.

Introduction

La crise financière de 2007-2008 a rappelé la douloureuse réalité. Le système financier international a encore failli, après qu’une nouvelle fois la longue série des crises qui l’ont précédée eurent été oubliées. Il faut donc de nouveau rouvrir le dossier et essayer d’aller au fond, en espérant, cette fois-ci, aller plus loin.

D’abord, quel est l’enjeu ? Une crise financière, par définition, met en danger tout ou partie du système financier. Les banques sont fragilisées, et avec elles, le système de paiement (comptes à vue des agents économiques), ainsi que le système de crédit à l’économie. L’enjeu est donc de mettre à l’abri à la fois les disponibilités des agents économiques et le financement de l’économie réelle.

Or comment peut se nouer une crise financière ? Le scénario est en général le suivant. D’abord, un marché particulier, ou l’économie entière d’un pays, est en forte croissance. Ensuite, tout le monde croit dur comme fer à la poursuite de la croissance, y compris les financiers, qui prêtent de plus en plus, ou fournissent le cadre à une spéculation à la hausse par des dérivés divers et variés. La croissance se transforme en bulle dangereuse lorsque survient la surestimation des possibilités du marché et une exubérance irrationnelle qui fait oublier le prix réel des actifs pour le remplacer par le prix potentiel de revente, et lorsque les financiers valident cette démarche par une création monétaire excessive. Car il faut bien que cette valeur nouvelle mobilisée dans l’achat des actifs vienne de quelque part.

A la racine d’une crise financière qui menace de s’étendre, il y a toujours au moins un actif dont le prix monte beaucoup, voire l’ensemble des valeurs boursières. En 1929 c’est l’ensemble de la bourse des USA. En 1987 c’est l’ensemble des bourses mondiales. En 1989 c’est la bourse et l’immobilier japonais ; en 1997, les bourses et l’immobilier de plusieurs pays asiatiques (notamment la Thaïlande). En 2001, les actions du secteur Internet s’envolent. Par contre en 1980, c’est l’argent métal qui a nourri la spéculation. Dans tous ces cas, il est reconnu que les liquidités étaient abondantes et le financement des spéculateurs facile. Cette spéculation peut aussi se tourner vers les taux de changes qui paraissent fragiles, les exemples sont les pays dollarisés (Mexique 1994, Argentine 2001), la Russie en 1998, ou les mécanismes d’harmonisation comme le SME (1992 et 1993). Là aussi, les spéculateurs ont mobilisé des fonds importants qui leurs ont été fournis par une création monétaire complaisante.

La racine du mal est donc dans le pouvoir de création monétaire décentralisé et plus précisément dans la possibilité de couverture fractionnaire des dépôts. Ce système a de graves défauts :

– Il mélange les fonctions bancaires et introduit ainsi l’aléa moral du « trop gros pour sombrer ». Lors d’une crise financière, le gouvernement doit sauver les banques pour sauver les dépôts.

– Il rend l’économie instable puisque de la monnaie liquide, volatile par nature, n’a pas de contrepartie liquide. Il suffit que des banquiers astucieux rassemblent des clients spéculateurs qui n’ont guère besoin de billets à la mesure des millions échangés pour avoir un effet de levier qui peut dépasser 50 lorsque les réserves obligatoires sont comme aujourd’hui en dessous de 2%. Des bulles spéculatives sont inévitables.

– Elle rend la création monétaire et l’ensemble de l’économie pro cyclique.

– Le taux d’intérêt ne représente plus l’équilibre des fonds prêtables. Il devient un outil indirect et inefficace de contrôle de la création monétaire. Par voie de conséquence, la politique monétaire devient peu efficace. Le cas typique est celui de la zone euro, pour laquelle la BCE est bien incapable de fixer un taux d’intérêt « optimal » pour tous les pays de la zone à la fois, et s’évertue à relancer l’économie en ne réussissant qu’à nourrir l’inflation spéculative des actifs.

Ce qui précède suggère clairement qu’il faut plus de régulation. Jusqu’à ce jour, la tendance a été d’augmenter la capitalisation des banques pour tenter de diminuer l’effet de levier[2], et de renforcer toutes les règlementations prudentielles sur les ratios à respecter. On espère ainsi rassurer les agents économiques quand à la solidité des entités qui détiennent leurs avoirs. C’est en réalité illusoire. Comme l’a bien expliqué J. Kay (2009), les règles doivent être vérifiées par des contrôleurs qui sont sujets comme tout le monde à l’euphorie des périodes fastes et ne présentent pas toujours des garanties d’indépendance sur des durées longues. Par ailleurs les financiers inventent constamment des moyens de tourner ces règles. Il faut donc aller plus loin et changer les structures. Il faut en réalité tuer l’effet de levier, mettre les banquiers à l’abri de leurs propres tentations et leur retirer le pouvoir de création monétaire. Ceci n’est nullement utopique.

Nombre d’économistes, certains parmi les plus célèbres, ont cherché et proposé des réformes pour séparer la création de monnaie de la distribution du crédit. La quasi-totalité de ces propositions sont fondées sur le principe d’une garantie totale de la monnaie, ou couverture à 100%, qui supprime la possibilité pour le prêteur de ne couvrir son prêt que partiellement. Au 19ème siècle et au début du 20ème, les auteurs voyaient la couverture en espèces métalliques. Citons Ricardo (1920), Walras (1892), Von Mises (1928). Plus récemment, on optait plutôt pour une couverture en monnaie de base ou monnaie centrale. Citons notamment le Groupe de Chicago (1933), Fisher (1935), Friedman (1959), Allais (1947, 1977), Gomez (2010). D’autres ont mis l’accent sur la sécurité des dépôts et ont inventé le « Narrow Banking » (banques étroites). Il s’agit entre autres de Minsky (1984), Tobin (1985) et J.Kay (2009). Ce souci les conduit comme les autres à rejeter la couverture fractionnaire des dépôts à vue, et à préconiser une couverture par des actifs « sûrs », dans leur esprit des titres d’Etat, système qui rejoint en fait la couverture par monnaie de base[3].

Nous ne parlerons ici que du système à garantie 100% par de la monnaie de banque centrale, assorti d’une séparation des fonctions bancaires, qui nous paraît être le plus simple et le plus efficace.

Une bonne synthèse de la mise en œuvre d’un système à couverture totale par de la monnaie centrale dans une économie moderne est l’article de C. Gomez (2010) « Une « vieille » idée peut-elle sauver l’économie mondiale ». Nous lui avons emprunté nombre d’idées et de références. Toutefois, nous différons sur les points suivants

– Alors que, comme beaucoup d’autres auteurs, il mêle couverture à 100% et rachat de la dette de l’Etat par un système de prêts remboursables aux banques, nous séparons ces 2 mécanismes en supprimant le prêt remboursable, ce qui change à la fois la philosophie du projet et les modalités de sa mise en œuvre. Nous montrons alors la faisabilité de ce nouveau projet.

– C. Gomez parle peu de la création monétaire et de sa régulation après la phase de mise en place. Nous insisterons donc sur ce point.

– Nous développons les problèmes posés par la protection des dépôts à terme et du système de crédit alors que C. Gomez n’en parle guère.

– Les influences respectives d’un système réformé avec le reste du monde (tant que le système monétaire international n’est pas lui-même réformé) sont peu traitées et nous essayons de préciser les problèmes posés.

Nous commencerons donc dans la première section par rappeler le principe de la réforme[4]. Ce principe sera très similaire à celui proposé par C. Gomez et M. Allais. Dans la deuxième section, nous décrirons la mise en œuvre telle que nous la voyons. Celle-ci est nouvelle. Dans la troisième section nous développerons les avantages et inconvénients de la réforme. Dans la quatrième section nous parlerons de la création monétaire dans le temps et de sa régulation ainsi que du problème des interactions avec l’extérieur. La dernière section conclura.

A. Le principe de la réforme

1. Les fonctions bancaires sont séparées[5] :

On distingue d’une part les Compagnies de Services Monétaires, ou CSM, qui ne gèrent que les dépôts et ne font pas de crédit, et les Banques de Financement, ou BF, qui font du crédit mais ne gèrent que des dépôts à terme. A ce niveau, tous les auteurs sauf I. Fisher insistent sur la nécessaire séparation juridique des fonctions. Toute connexion entre ces 2 fonctions ne peut que susciter des procédés aussi géniaux que néfastes pour rétablir une substituabilité entre les dépôts à terme et les dépôts à vue et ruiner ainsi la couverture totale.

Allais préconise en plus de séparer les banques d’affaire des banques de financement. Ce point est sans incidence sur la structure de la création monétaire mais n’est pas neutre concernant le crédit et les dépôts à terme. Nous y reviendrons donc plus loin.

2. Les dépôts à vue dans les CSM sont couverts à 100% par de la monnaie centrale :

Cette énorme masse de monnaie centrale ne peut-être fournie que par la Banque Centrale. Les auteurs se partagent sur le procédé pour la fourniture de cette monnaie de base. Certains préconisent l’achat d’actifs aux banques (Fisher), d’autres le prêt (Friedman, Allais, Gomez), d’autres enfin le don pur et simple. C. Gomez cite comme partisan de ce dernier procédé Higgins[6] (1941), et ajoute que le choix a peu d’impact sur le sujet étudié. Nous préconisons aussi le don, qui a l’avantage de simplifier grandement le processus, sans conséquence particulière, puisque la monnaie correspondante est immédiatement gelée. Il a aussi pour avantage de séparer nettement la garantie des dépôts et le rachat de la dette de l’Etat, qui peuvent ainsi être dissociés dans le temps.

Nous verrons que ce don peut aussi être interprété comme une dotation en capital, qui pourrait appeler une contrepartie en prise de participation de l’Etat. D’un autre côté, la profession bancaire peut argumenter qu’elle n’a pas à payer pour une garantie dont elle ne fera rien. La solution finale dépendra du contexte au moment de la réforme

3. Les BF ne font que de l’intermédiation :

Les BF pratiquent des prêts comme elles le faisaient auparavant, mais elles ne peuvent avoir comme ressources que des dépôts d’épargne à terme. Allais ajoute qu’il faut interdire la transformation financière, c’est-à-dire que les BF ne pourraient pas prêter à terme plus long que celui du dépôt qui sert de contrepartie. Même si cette transformation doit être encadrée, il paraît difficile, au moins immédiatement, de la supprimer complètement. En particulier, ce serait la mort du logement social financé par le livret A. La solution est sans doute de déterminer une limite supérieure du terme de chaque catégorie de prêt en fonction de sa contrepartie, sans qu’elle soit nécessairement identique, et aussi de prévoir des exceptions en fonction des opérateurs.

4. La distinction entre dépôts à vue et dépôts à terme :

Aujourd’hui, il existe ce qu’on pourrait appeler de l’épargne à vue, qui est un produit hybride entre épargne et dépôt à vue. D’une part il est rémunéré. D’autre part, très souvent, il peut être transformé « en 1 clic » en dépôt à vue. Sur certains de ces produits on peut même tirer des billets directement du compte correspondant ou émettre des chèques. Il est clair que la réforme demande de placer une barrière plus nette entre les deux types de dépôt. Un dépôt à terme (qui sera sur un compte chez une BF) ne pourra être mobilisé immédiatement. Le délai est à fixer par la loi, mais devrait être idéalement de plusieurs jours. A cause de ce point, on peut s’attendre au moment de la réforme à un certain transfert des dépôts à terme court vers les dépôts à vue.

5. Les services et la rémunération des CSM :

Les CSM gèrent les moyens de paiements (tenue des comptes, exécution des chèques et virement, mouvements de monnaie fiduciaire) et pourraient aussi assurer, comme le suggère C. Gomez, certains services de courtage, y compris vers leurs collègues des BF, voire même de détention de titres, pourvu qu’ils soient sans risque pour la CSM elle-même. Dans ces conditions, tous ces services devraient être rémunérés.

Cette rémunération est déjà utilisée aujourd’hui (assez peu en France à part de faibles frais de tenue de compte et une petite rémunération des chèques). Elle devrait sans doute être augmentée. Si elle était croissante avec le volume de l’encaisse, elle pourrait dissuader la thésaurisation et stabiliser la vitesse de circulation de la monnaie. Au total, le problème de la rémunération des CSM ne devrait pas poser de problème majeur compte tenu du peu de capital nécessaire.

B. La mise en œuvre

Concernant  la séparation opérationnelle des services, qui sont actuellement contenus dans une société unique, les problèmes seraient moindres qu’on ne pourrait le craindre, si on en croît des connaisseurs de la structure actuelle des banques, notamment C. Gomez, qui a une connaissance par l’intérieur de ces structures[7]. Il pense que les banques sont déjà aujourd’hui structurées par métiers, et que la séparation telle que celle envisagée ici « ne poserait aucun problème majeur ».

Concernant le processus comptable, il est également assez simple

1. La situation avant la réforme :

Nous nous contentons de présenter les postes du bilan concernés par l’opération. Nous prenons au départ les mêmes montants que C. Gomez pour qu’on voie bien les différences que nous introduisons dans le processus

On suppose donc que la banque, sur un total de 1000, détient 20% de DAV (dépôts à vue), le reste en DAT (dépôts à terme).

2. La préparation :

On suppose ici que la CSM qui sera formée héritera de 100% des DAV et de 20% des DAT, suivant ainsi notre raisonnement indiqué plus haut d’après lequel certains DAT actuels sont de l’épargne liquide, qui passera en DAV pour rester disponible. On doit donc garantir 200 + 800 x 20% = 360. Bien entendu, ce montant peut être ajusté par la suite.

La Banque Centrale inscrit au passif cette somme au crédit des banques. En contrepartie, elle inscrit cette opération au bilan sous un nom « ad’ hoc », s’il s’agit de don pur et simple[8], car il ne s’agit pas d’une vraie créance ni d’un actif mobilisable. S’il s’agit d’une prise de contrôle partiel par l’Etat, elle l’inscrit comme tel et il s’agit alors d’un actif bien réel.

Côté Banque, cette somme est inscrite à l’actif comme le contenu du compte qui est dans les livres de la Banque Centrale. Au passif, elle est mise en « Réserve », une réserve spéciale créée pour l’opération. S’il y a participation de l’Etat, la somme peut être inscrite au compte « Capital ».

Notons que le processus proposé ici ne nécessite ni prêt massif aux banques, ni remboursement par celles-ci, et donne plus de souplesse à la politique de la banque centrale.

3. La séparation :

On fait simplement passer les DAV, ainsi que leur contrepartie en monnaie centrale, de la Banque vers la CSM.

L’opération est alors terminée, et on peut passer au fonctionnement normal permanent.

4. Fonctionnement permanent :

Le système financier secondaire (CSM et BF) n’a plus l’initiative de créer de la monnaie, et toute nouvelle monnaie ne peut apparaître que si la Banque Centrale fournit la garantie. Pour ce faire, elle peut acheter des créances. Et pour montrer que la garantie totale se maintient alors automatiquement, nous allons considérer 2 cas, suivant qu’elle achète sur le marché secondaire une créance quelconque, ou qu’elle achète à l’Etat sur le marché primaire. Ce dernier cas est le plus simple, nous le traiterons en premier

On voit que dans un premier temps la Banque Centrale acquiert le titre et le paie au Trésor Public, ce qui crédite le compte de celui-ci. Dans un deuxième temps, l’Etat dépense cet argent auprès d’un agent X qui a un compte dans une CSM. L’opération se solde par des augmentations égales d’un compte courant, donc de la masse monétaire et de sa garantie en monnaie centrale.

Examinons maintenant le cas de l’achat d’une créance sur le marché secondaire.  Soit le titre de créance est détenu par une BF, qui a prêté à un débiteur, soit il est détenu par un agent non financier, et gardé dans un compte-titre qui pourrait être géré par une CSM. Le cas le plus illustratif étant celui de la BF, nous montrons celui-ci. Dans le schéma ci-dessous, les BF n’ont pas de compte en banque centrale, les mouvements de monnaie dont elles ont besoin se font à travers des comptes dans les CSM, comme pour les autres agents économiques[9]. Si elles devaient garder un compte en banque centrale, essentiellement pour des raisons annexes, le schéma serait similaire et plutôt simplifié.

Au départ, une BF détient une créance à son actif.

Première opération, la Banque Centrale acquiert le titre et crédite la BF, qui voit son compte en CSM monter d’autant. Notons que dès ce moment la masse monétaire et la monnaie centrale qui la garantit ont monté d’autant. Nous avons poursuivi par la deuxième opération, par laquelle la BF prête à un agent X la monnaie dont elle dispose par la vente du titre. Ceci permet d’aboutir à une situation finale tout à fait identique au cas précédent.

On s’apercevrait en examinant éventuellement d’autres variantes que la situation d’arrivée est toujours la même. Ceci vient du fait qu’à partir du moment où seule la banque centrale peut créer de la monnaie, elle ne peut le faire qu’en monétisant un actif au profit d’un tiers. Cet actif a pour contrepartie une somme en monnaie centrale de même montant, qu’elle verse au vendeur de l’actif. Si ce vendeur n’a pas de compte en Banque Centrale, le fonctionnement normal de l’articulation entre monnaie centrale et monnaie secondaire amène une augmentation immédiate de la masse de monnaie secondaire, dont la garantie est la monnaie centrale qui l’a générée. Si ce tiers a un compte à la Banque Centrale, la garantie est mise en place immédiatement, mais la génération de la monnaie secondaire correspondante est différée jusqu’à ce que le tiers dépense cet argent auprès d’un tiers « ordinaire ». On voit que de ce point de vue il vaut mieux que les BF n’aient pas de compte à la Banque Centrale. Comme l’Etat emprunte en général pour dépenser, on est alors sûr que tout achat de titre par la Banque Centrale génère le même montant de monnaie secondaire et que la garantie de celle-ci en monnaie centrale est automatiquement assurée.

C. Conséquences, avantages et inconvénients

1. La gestion quantitative de la monnaie :

Il est clair que dans le système proposé, la Banque Centrale est maîtresse de la génération monétaire. Elle peut donc mettre en circulation la quantité exacte de monnaie qu’elle souhaite. Le rêve, non ? Ceci est un grand changement par rapport à la situation actuelle, dans laquelle les seuls moyens de régulation sont le taux d’intérêt et la parole, avec un effet plus qu’aléatoire sur la quantité de monnaie en circulation.

Certes la quantité n’est pas le seul paramètre à prendre en compte pour apprécier l’effet de la monnaie sur l’économie en général et les prix en particulier. La vitesse de circulation importe aussi. Mais nous verrons que ce paramètre n’est pas un danger en dehors de périodes exceptionnelles.

Finalement, nous pensons donc que la gestion quantitative, bien qu’elle ne soit plus employée de nos jours qu’exceptionnellement, est tout à fait adaptée à la régulation de la masse monétaire quant à ses effets sur les prix et l’activité, elle est même probablement beaucoup plus efficace.

Certains craindront que ce pouvoir de création monétaire ne tombe entre les mains de gouvernants indélicats qui le détourneraient à leur profit. Mais la Banque Centrale n’est pas le gouvernement. Et remettre la création monétaire à un service public spécialisé n’est-il pas plus satisfaisant que de l’abandonner aux banques privées qui n’ont aucune motivation de régulation macroéconomique, mais, ce qui est normal de leur part, un souci de profit immédiat, et qui sont sensibles à des influences psychologiques pro cycliques, avec les conséquences de bulles et de crises financières que nous avons décrites ? Ajoutons qu’il paraît plus facile d’encadrer un mécanisme centralisé plutôt qu’une génération décentralisée dont l’histoire a montré que c’était une mission impossible.

2. Les taux d’intérêt :

Dans le nouveau système, les taux d’intérêt sont réglés par l’offre et la demande sur le marché de l’épargne et du crédit. Ne risque-t-on pas une plus grande volatilité de ces taux si la création monétaire « a la volée » disparaît ? Dit autrement, la demande de crédits sera-t-elle correctement satisfaite si elle est limitée aux fonds épargnés ? La première réponse est que l’alternative, qui est de permettre la création monétaire en complément, et donc en couverture fractionnaire, a les inconvénients que nous connaissons, il a amené de nombreuses crises financières, dont les plus grandes, celle de 1929 et celle de 2008, pour ne parler que de celles-ci. Et puis, peut-on sérieusement affirmer que le système actuel permet un arbitrage correct entre inflation et chômage, ou que nos banquiers centraux sont en condition pour mener une politique monétaire aux effets prévisibles ?

La deuxième réponse est que les crédits « tournent », les nouveaux crédits remplaceront sans problème les anciens, la difficulté n’existe donc potentiellement qu’à la marge, pour l’augmentation de la masse des crédits en cours. De ce point de vue, la banque centrale et le gouvernement devront avoir une politique du crédit indépendante de la politique monétaire. Si les crédits s’emballent ils peuvent les encadrer comme cela s’est fait dans le passé, ou taxer les intérêts perçus, pour en augmenter le coût. S’il n’y a pas assez d’épargne, il est au contraire possible de subventionner les taux débiteurs.

La troisième est que les crédits qui ne proviennent pas de l’épargne sont une création de pouvoir d’achat ex-nihilo. Sans les assimiler comme les économistes classiques à de « faux-droits », ce qui jette sur eux un opprobre injustifié, ils sont une anticipation sur l’augmentation de la production de l’économie et à ce titre ils doivent être strictement limités.

3. Et la dette de l’Etat ?

De nombreux défenseurs de la monnaie totalement garantie y associent le rachat d’une partie de la dette de l’Etat (pour le montant de la garantie de la monnaie) et voient même dans ce rachat une justification de la mise en œuvre du système. Nous avons montré que la mise en œuvre de la réforme ne nécessite ni l’existence de cette dette ni son rachat. Mais la Banque Centrale peut, si elle le souhaite, ou si c’est prévu par la loi, racheter des titres d’Etat en quantité plus importante que ne le nécessite la régulation de la masse monétaire, et stériliser ce supplément en  remplaçant une partie de la contrepartie « ad’ hoc » de la garantie par des titres d’Etat. Etant donné qu’elle garde cette garantie dans ses livres, elle peut en faire ce qu’elle veut. En face de la masse de monnaie centrale qui sert de garantie, et qui a par exemple un volume de 100, elle peut avoir 0 à 100 de titres d’Etat et le complément en actifs « Garantie de la masse monétaire » (dénomination ad’ hoc). Si elle veut (ou si la loi prévoit de) réaliser cette garantie en titres d’Etat, elle peut le faire à son rythme, sans dépendre d’un quelconque remboursement de prêt par les banques, et aboutir ainsi au même résultat que le système à remboursement de prêt préconisé par plusieurs auteurs (Friedmann, Allais, Gomez).

4. L’éradication des bulles et la protection des dépôts :

La plupart des bulles spéculatives qui ont dégénéré en crises financières n’auraient pas pu arriver dans le système que nous venons de décrire, car la montée du prix des actifs n’aurait pas pu être financée aussi facilement. Ceci dit, nous ne pouvons prétendre empêcher toute défaillance d’une partie du système économique.  Les dépôts à vue sont garantis par la Banque Centrale et peuvent être récupérés par leurs propriétaires immédiatement. Il n’en est pas tout à fait de même pour les Banques de Financement et donc pour les dépôts à terme. Si par exemple un gros emprunteur fait faillite, il peut faire tomber une Banque de Financement si on ne prend aucune précaution. On peut aussi imaginer, bien qu’historiquement les grandes crises aient été toutes au départ des crises financières, qu’une telle grave crise de l’économie réelle arrive, qui mettre en difficulté de nombreuses entreprises et leurs employés, donc leurs emprunts, et mette donc en danger une grande masse de dépôts à terme.

Nous n’avons pas la réponse définitive à ce problème. Garantir tous les dépôts à terme par le même système que les dépôts à vue ne nous paraît pas possible. En effet si la contrepartie des dépôts à terme est de la monnaie centrale, ils ne sont plus « disponibles » pour financer des emprunts. C’est tout le financement intermédié qui serait éliminé.

La seule manière de garantir ces dépôts dans la structure du système est, comme le préconisait M. Allais, d’obliger que tout dépôt dépende d’une créance de même terme. Si, comme il est probable, on juge que ceci n’est pas possible totalement, il faut une garantie extérieure et proportionnée à cette « discordance », garantie accordée par le gouvernement et/ou la Banque Centrale. Un système plus précis reste à étudier.

Cependant, comme une telle garantie devrait probablement être organisée, il faut considérer maintenant comme indispensable de séparer les financements de l’économie des activités spéculatives des banques. En effet, la garantie du gouvernement ne pourrait être accordée qu’aux premiers. En conséquence, et bien que ceci aille plus loin que la stricte prévention des crises financières et la protection des dépôts à vue, il faut préconiser finalement, comme M. Allais et C. Gomez, la scission du système financier en 3 branches séparées, les CSM pour les dépôts à vue, les BF qui financent l’économie réelle, et les Banques d’Affaires, qui recueillent des fonds qu’elles utilisent pour des placements  spéculatifs pour leur propre compte ou pour des tiers.

5. La réglementation prudentielle :

La réforme éviterait la plupart des règlements existants ou en cours de mise en œuvre sur les ratios prudentiels, les ratios de capital, etc. … Ces règlements ayant pour but d’éviter la faillite des banques, la réforme proposée change complètement la donne. Les CSM et leurs dépôts sont complètement garantis et leur surveillance limitée aux règles de base de la comptabilité.

C’est un peu moins simple pour les Banques de Financement, comme indiqué plus haut, mais la bonne voie est claire. Il faut chercher une sécurité incluse dans les structures plutôt que des règlements qui sont toujours en retard d’une crise.

D. Régulation et interfaces avec l’extérieur

D.1 La régulation quantitative de la masse monétaire :

La régulation de la masse monétaire devient plus facile pour deux raisons. D’abord le contour de cette masse monétaire devient plus clair. Comme l’ont bien montré J. Créel et H. Sterdyniak (1999), dans le système actuel la définition d’une masse monétaire devient très difficile et une gestion fondée directement ou indirectement sur la quantité de monnaie devient impossible. Le système proposé ici restaure la notion de masse monétaire des comptes à vue en les séparant clairement des autres agrégats financiers, et en les spécialisant dans leur fonction de moyen de paiement qu’il convient de réguler quantitativement.

Ensuite régler la quantité est facile puisque la banque centrale est maîtresse du jeu, du moins en économie fermée (nous nous restreignons à ce cas dans un premier temps). Elle décide exactement combien de monnaie elle veut mettre en circulation. S’il faut augmenter cette masse, nous avons vu comment elle pouvait le faire en achetant des créances. Il peut aussi arriver qu’elle veuille faire diminuer la masse monétaire. Dans ce cas il faut inverser le circuit et elle doit vendre des actifs qu’elle possède (par exemple des créances). Pour que ceci soit possible sans que la Banque Centrale soit obligée de brader ses actifs, il devrait être fait obligation aux Banques de Financement d’acheter ces titres lorsque la Banque Centrale le déciderait.

Le problème d’atteindre l’objectif étant facilement réglé, la difficulté se déplace vers la détermination de l’objectif. A quel niveau fixer la quantité de monnaie en circulation ? Ceci revient à se demander de combien l’économie va croître en valeur, c’est-à-dire de combien elle va croître en volume et de combien les prix vont augmenter pour une raison autre que monétaire (notamment inflation par les coûts).  Ces questions dépassent  le cadre de notre étude, qui veut avant tout proposer des solutions aux problèmes monétaires. Le fait qu’on se pose enfin des questions concernant la croissance de l’économie réelle montrerait que nous serions arrivés à notre but, qui est de mettre la monnaie au service de l’économie réelle au lieu de lui nuire.

D.2 La vitesse de circulation de la monnaie :

Les objectifs de niveau quantitatif de la masse monétaire ne peuvent être fixés que si la vitesse de circulation de la monnaie est constante, ou si on tient compte de son évolution dans les objectifs quantitatifs.

L’expérience prouve que cette vitesse de circulation varie beaucoup moins vite que la quantité, en dehors des périodes d’hyperinflation et des périodes de création monétaire débridée dans la sphère financière. Elle dépend alors de l’évolution des moyens de paiement dont le perfectionnement induit une tendance à réduire les encaisses, des taux d’intérêt créditeurs réels (les taux élevés favorisant l’épargne au détriment des encaisses oisives), et de l’inflation, qui incite à dépenser plus vite. Mais, encore une fois en dehors des périodes troublées et notamment de celles d’hyperinflation, l’inertie des agents économiques aux variations de ces causes est très importante. Par conséquent, une prévision annuelle de masse monétaire pourrait la plupart du temps se faire en supposant constante la vitesse de circulation.

Si toutefois on voulait agir sur cette vitesse, on n’est pas complètement démuni. Si elle est trop faible ou instable, on peut taxer les encaisses. Si elle est trop rapide, on peut les subventionner en les rémunérant.

D.3 L’influence de l’extérieur :

Dans tout ce qui précède nous avons supposé une économie fermée. Il nous faut maintenant considérer le monde réel et examiner comment le système de la monnaie totalement garantie peut s’y insérer.

Dans un premier temps nous devons nous demander comment se font les changes de devises dans un système à garantie totale qui serait mis en œuvre dans les 2 pays partenaires. Pour montrer les implications, nous allons partir d’un règlement transfrontière, un agent X en Europe désirant payer 120$, soit 100€, à un fournisseur Y aux USA. Actuellement, en régime de liberté de changes, les banques centrales ne sont pas impliquées. En supposant pour simplifier, que la Banque E située en Europe ait un compte courant en dollars chez la Banque A située aux USA, on a simplement les mouvements suivants

Si la Banque E n’avait pas de compte chez la Banque A, il y aurait apparition d’une dette de la banque A vers la banque B, qui serait compensé en final par des emprunts ou des prêts sur les marchés des changes internationaux.

Mais le point important est que la masse monétaire en Europe a baissé de 100€, tandis qu’elle a augmenté de 120$ aux USA, alors que les garanties dans les Banques Centrales n’ont pas bougé. La garantie devient donc surabondante en Europe et insuffisante aux USA. Le système de la monnaie complètement garantie est donc incompatible avec une liberté totale des changes. La transaction ci-dessus doit impliquer les Banques Centrales, c’est-à-dire que l’agent X doit obtenir ses dollars de la BCE, qui les a en réserve car elle les a achetés à la banque centrale américaine que nous appelons ici BCA. Celle-ci reçoit en échange des euros.

Les dettes et créances sont maintenant constatées au niveau des banques centrales et les comptes des CSM en monnaie centrale, qui constituent la garantie des comptes courants, se sont ajustés au nouveau montant des comptes courants.

Cette obligation de passage des mouvements de devises par la banque centrale ne doit pas nous étonner car il est bien connu que les apports de devises étrangères génèrent de la monnaie domestique tandis que les sorties de devises en détruisent. Il est donc nécessaire que, pour contrôler la génération monétaire et sa garantie, la banque centrale doive aussi contrôler les mouvements de devises. Ceci a l’inconvénient de supprimer encore une liberté des organismes financiers. Mais il a l’avantage de contrôler un des facteurs d’instabilité du système monétaire international et de pouvoir mettre en œuvre plus facilement entre les deux pays partenaires des mécanismes de régulation des fluctuations de changes.

Si maintenant un seul des deux pays partenaires fonctionne avec monnaie totalement garantie, on extrapole facilement comment il doit procéder. Ici aussi les transactions des agents domestiques avec l’extérieur doivent passer par leur banque centrale, qui alors obtient les devises soit sur le marché international des changes, soit par accords bilatéraux avec les autres banques centrales.

Conclusion

Le système proposé ici peut paraître trop dirigiste tant la volonté de nouvelles régulations, née après la dernière crise, semble s’être déjà estompée. En réalité, si rien n’est fait pour contrôler la création monétaire, de nouvelles crises financières sont inéluctables, jusqu’au jour où une d’entre elles, plus grave que les autres, emportera l’économie mondiale.

Le système de la monnaie totalement garantie est relativement simple à mettre en œuvre, il a été validé par la réflexion de nombreux économistes dont certains parmi les plus grands, et il supprime à la racine les causes profondes des crises financières. Sans prétendre résoudre ainsi tous les problèmes de l’économie mondiale, il fournit au moins les conditions d’une plus grande stabilité monétaire.

Bibliograhie

Allais M. Nombreux écrits sur le sujet depuis « Economie et Intérêts » (1947) Editions Clément Juglar en 1988 (2nde édition), jusqu’à « Les fondements de la dynamique monétaire » (2001) Editions Clément Juglar

Créel J. et Sterdyniak H. « Pour en finir avec la masse monétaire » (1999) Revue Economique Vol.50 p.523-533

Fisher I. « 100% Money » (1935) réédité comme « The work of Irving Fisher » (1996) Pickering & Chatto

Friedman M. « A Program for Monetary Stability » (1960), Fordham Univ. Press

Gomez C. « Une “vieille” idée peut-elle sauver l’économie mondiale ?  » (2010) Université Blaise Pascal IUFM Auvergne  (https://osonsallais.files.wordpress.com/2010/02/gomez-100.pdf)

Minsky H.P. « Can “It” Happen Again? » (1984) Essays on Instability and Finance M.E. Sharpe

Ricardo D. « Des Principes de l’Economie Politique et de l’Impôt » (1821) Chap.27

Tobin J. « Financial Innovation and Deregulation in Perspective » 2nd Int. Conf.of the Institute for Monetary and Economic Studies, Bank of Japan, Tokyo, May 29-31


[1] Erasme ; Chômage et Monnaie.

[2] Pour préserver un système supposé le meilleur, on stérilise des capitaux qui pourraient être mieux employés ailleurs. La structure actuelle n’est donc pas optimale de ce point de vue.

[3] En effet, si seul l’Etat peut monétiser sa dette, la monnaie centrale qu’il perçoit se retrouve, dès qu’il l’a dépensée, au compte des banques dont les clients reçoivent l’équivalent de la dépense de l’Etat. La garantie à 100% est réalisée si en même temps on assujettit les banques à un taux de Réserves Obligatoires de 100%.

[4] La zone monétaire concernée par la réforme est celle supervisée par une banque centrale. Pour fixer les idées, on peut prendre comme exemple la zone euro et la BCE.

[5] Nous conservons la terminologie Gomez-Allais des fonctions bancaires et des établissements associés.

[6] Nous n’avons pu trouver cette référence pour l’instant.

[7] Après une carrière universitaire, il a occupé des fonctions importantes dans la banque d’investissement d’une grande institution financière, tant en Europe qu’en Asie.

[8] Il y a toujours une telle inscription ad’ hoc lorsque la Banque centrale donne de la monnaie qui ne sera pas remboursée. Par exemple elle avait inscrit « Avances au Trésor » lorsqu’elle créditait le Trésor d’avances non remboursables.

[9] Pour le fonctionnement du système monétaire, il n’y a aucune nécessité que les BF aient un compte en banque centrale.


LES VOTES DU CONGRÈS AMÉRICAIN

12 octobre 2011

ÉDITOS-ACTUALITÉS : COMMERCE INTERNATIONAL

LES VOTES DU  CONGRÈS AMÉRICAIN SUR LES QUESTIONS COMMERCIALES:

BEAUCOUP DE POLITIQUE INTERNE, MAIS PAS DE STRATÉGIE RÉELLE

Les votes récents du Congrès sur des traités commerciaux entre les Etats-Unis et trois pays : Panama, Colombie et Corée (seul le troisième pays est bien sûr significatif) et le vote du Sénat sur une « bill » visant les pays qui sous-évaluent leur monnaie, c’est-à-dire, dans l’esprit des  sénateurs, essentiellement la Chine, m’ont inspiré quelques réflexions. La première chronique sera consacrée au Traité Corée-Etats-Unis.

LE TRAITÉ COMMERCIAL ETATS-UNIS-CORÉE

Il se trouve que , dans les derniers jours, je lisais le livre de Clyde Prestowitz, « The Betrayal of American Prosperity (Free Press, 2010), spécialiste des questions de commerce international[1], qui consacre près d’une page aux négociations préparatoires à ce traité qui se sont étalées sur plus de 5 ans. Il y montre comment les deux parties s’y prennent en général pour mener ces pourparlers et pourquoi l’une des parties est nécessairement perdante.

Du côté Coréen, le Gouvernement a une vision de l’avenir du pays et une claire idée des intérêts nationaux à défendre, ce qui lui permet de discuter avec les différentes parties concernées (d’abord, les grands « Chaebols ») pour obtenir des résultats stratégiques clairs et précis concernant les secteurs où ils veulent pouvoir faire des progrès sur le marché américain pour poursuivre leur expansion sur les marchés et asseoir si possible leur domination : rechercher des baisses de droits de douane en priorité sur certains produits en faisant éventuellement des concessions sur d’autres, moins stratégiques,  protection des entreprises coréennes contre des poursuites éventuelles concernant la propriété intellectuelle et les brevets  (je cite Prestowitz)…..

Du côté américain, il s’agit d’abord d’une démarche idéologique vague et imprécise visant à faire progresser le « free market », c’est à dire le libre-échange. Bien sûr, les négociateurs disposent d’une « wish List »  adressée par les industriels et les membres du Congrès  sur la base de laquelle ils vont essayer de défendre les intérêts américains. Mais, leur souci primordial est de ne pas mécontenter les parties les plus influentes politiquement et celles qui exercent le plus de pression avec tous les moyens à leur disposition (celles qui crient le plus fort en fait).  Et l’auteur de citer, comme exemple, le cas des exportations de bœuf considérées comme une priorité nationale par la partie américaine car l’homme qui défend les intérêts des éleveurs est (je cite) le Sénateur Max Baucus, représentant de l’Etat du Montana (état grand producteur de viande comme l’on peut s’en douter), mais surtout, Chairman de la Commission des Finances du Sénat….

La conséquence de la signature de ce traité est simple à prévoir : Le déficit Etats-Unis-Corée va continuer à se creuser en défaveur des Etats-Unis, avec des automobiles coréennes de plus en plus compétitives qui vont tailler des croupières à des producteurs américains sauvés de la faillite à grands frais par les contribuables américains et une industrie des semi-conducteurs qui va accroitre sa domination sur un secteur aussi stratégique pour les industries de la Défense. Du côté américain, peut-être quelques morceaux de viande en plus dans les « Korean Barbecues »…..

En fait, c’est toujours la même histoire qui recommence : la défense aveugle d’une simple idéologie[2], le « laisser-fairisme » échangiste comme disait Maurice Allais, face à des pays qui défendent leurs intérêts nationaux au nom d’une certaine vision de leur développement, conduit les économies occidentales au déclin et des catégories de la population de plus en plus nombreuses au désespoir. Mais, nous reviendrons sur toutes ces questions……

Christian Gomez


[1] Clyde Prestowitz est le fondateur et le Président du « Economic Strategic Institute » situé à Washington. Il fut négociateur principal pour les questions commerciales avec l’Asie sous l’administration Reagan et Vice-Chairman de la Commission pour le Commerce et le Développement pour la zone Asie-Pacifique sous la Présidence Clinton. Il est aujourd’hui membre du World Economic Forum et Consultant International.

[2]  Je ne peux que renvoyer aux exposés de Maurice Allais sur la question. Pour une synthèse générale, voir mon article pour le journal suisse Le Temps qui est sur ce site sous le titre : « Faut-il interdire les délocalisations ? Réponse au Professeur Imbs »


TOUCHÉ… TOUCHÉ… TOUCHÉ ENCORE… COULÉ?

5 octobre 2011

LA CRISE DE L’EURO

 

TOUCHÉ….  TOUCHÉ…TOUCHÉ ENCORE..… COULÉ?

Comment l’interaction Eurozone/banques-marchés ressemble à une « bataille navale» dont le perdant est connu à l’avance

 

En visionnant une video (3/10/2011)[1] du très remarquable chroniqueur du Financial Times, James MacKintosh, je ne pus m’empêcher, à la lecture d’un graphique montrant l’évolution des CDS (Credit Default Swaps[2]) sur les dettes publiques des pays européens, de penser à ce jeu de société que vous connaissez tous : « la Bataille navale ». Le graphique portait sur l’appréciation des dettes publiques. Mais la même image peut bien sûr s’adapter aux banques et, au-delà à l’euro-zone et à l’économie mondiale. Car, c’est bien de cela qu’il s’agit : de proche en proche, tous les vaisseaux, grands et petits,  de l’économie mondiale sont mis hors de combat.

Les dettes publiques : la dérive vers  la dislocation s’accentue

En ce qui concerne les dettes publiques,  il y avait les petites « vedettes » déjà coulées (Grèce) ou en passe de l’être (Portugal), avec des niveaux de prix des CDS de 600bp et au delà. Il y avait les croiseurs Espagne et Italie très touchés avec des CDS déjà autour de 500bp, alors qu’ils étaient à moins de 200 pour l’Italie en Juin (!). Mais, ce qui était le plus frappant, c’était l’évolution des CDS France et Allemagne, deux pays qui, vous me le concèderez, peuvent être assimilés, dans l’ordre, à un cuirassé et à un vaisseau amiral. La France était à moins de 100 jusqu’en juin mais, depuis, le CDS a commencé à décoller pour doubler en fin septembre, soit le niveau de l’Italie en Juin. Et, enfin, le choc : l’Allemagne elle-même était touchée. Il fallait payer moins de 50 bp pour s’assurer contre sa défaillance de janvier à juin. En début octobre, il fallait 100bp. Certes au niveau des taux d’intérêt payés, ces évolutions ne se traduisent encore par des effets de hausse puissants que sur les pays de la périphérie et l’Allemagne bénéficie pleinement de son statut de « safe haven », le seul pays à inspirer malgré tout confiance. Mais, la France, dont les taux calquaient ceux de l’Allemagne jusqu’à une date récente, a commencé à s’en détacher et les « spreads » (OATs-Bunds) à s’élargir. Qu’est-ce que cela veut dire ?

La réponse est simple : la crise de l’euro-zone ne fait que s’approfondir et, de plans de secours en plans d’urgence, avec des engagements toujours croissants des pays les plus solvables, en particulier de l’Allemagne et les autres pays de l’Europe du Nord, tout le monde est emporté par ce courant qui conduit  la zone euro vers sa  rupture, privée qu’elle est de toutes capacités de redressement, qu’elles soient fiscales (fuite dans le fédéralisme) ou monétaires (accentuation démesurée du financement monétaire par la BCE). On comprend l’Allemagne qui a dû déjà accepter de s’engager autour de 200 milliards dans l’élargissement de l’EFSF (European Financial Stability Facility) et qui résiste à toutes les tentatives pour, par des subterfuges tous plus dangereux les uns que les autres, donner à ce fonds plus de moyens afin de faire face aux crises des dettes des « grands » pays  (Italie, Espagne…. France ?). La situation est d’autant plus dramatique que les Banques sont en première ligne dans cet écroulement.

Les banques dans le tourbillon avant la chute

En effet, vis-à-vis des Banques, le marché joue déjà la défaillance des grands pays, comme l’Espagne et l’Italie. C’est ce qui explique l’effondrement des valeurs bancaires et la montée en flèche des CDS à des niveaux très supérieurs à ceux atteints au « pic » de la crise de 2008-début 2009. Une restructuration de la dette grecque, dont le premier stade est déjà connu, pourrait être absorbée sans trop de difficultés. Mais, des restructurations en chaine de l’Espagne et de l’Italie, avec la France en pointe de mire, ne pourraient être « encaissées » sans un KO technique au niveau des fonds propres. Là aussi, l’image du jeu de la « bataille navale » colle très bien. Dexia est le premier bateau, d’une taille déjà respectable à sombrer, privé de tous les moyens de sauvetage. Les banques Françaises sont sauvagement attaquées, perdant plus de 50% de leur valeur par rapport au début d’année et valorisées maintenant très en deçà de leur valeur comptable (book value). Elles tendent même à devenir des pestiférés comme le montre le fort recul de Morgan Stanley en bourse en début de cette semaine, suite aux inquiétudes liées à son exposition sur les banques françaises. Elles ne se comparent pas très bien à leurs pairs en matière de fonds propres et elles sont très exposées aux pays potentiellement défaillants. Il est symptomatique  que la Commission Européenne qui se scandalisaient, il y a seulement quelques « petites » semaines, à la seule évocation d’une recapitalisation des banques européennes, commence aujourd’hui à infléchir sa position et à dire que finalement….. Mais, en fait, à y regarder de près, c’est tout le système bancaire mondial qui est touché (voir les CDS de Bank of America ou Barclays) et au-delà, c’est toute l’économie mondiale qui est au bord de la conflagration.

L’économie européenne et mondiale en panne sèche en pleine tempête ?

Dans la situation actuelle, les banques font face à une situation exceptionnellement dangereuse et font courir des risques à l’économie mondiale des risques exceptionnellement élevés. En effet, les banques ont des problèmes de plus en plus aigus de refinancement. Au niveau des fonds propres, il est aujourd’hui pratiquement impossible de lever des capitaux, en dehors même des problèmes liés à la dilution des anciens actionnaires vu le niveau actuel des cours. Trouver de nouveaux actionnaires serait très difficile et émettre de la dette subordonnée ne pourrait se faire qu’à des conditions extrêmement onéreuses (et ce n’est même pas sûr de trouver des investisseurs), surtout avec les conditions requises par « Bâle 3 »[3] pour qu’elle puisse être comptabilisée même en « Tier 2 »[4]. Face à une aversion au risque d’un niveau quasiment jamais vu chez les investisseurs institutionnels,  la source de la dette « senior » classique s’est quasiment tarie. Même, la dette « couverte » (« Covered bonds »), largement utilisée dans les dernières années, est vue maintenant avec suspicion et des agences de notation ont commencé à lancer des signaux d’alerte en en soulignant les risques pour les investisseurs. Et, cerise (ou bombe ?) sur ce gâteau immangeable : les banques ne se font plus confiance entre elles et préfèrent placer leurs fonds auprès des Banques Centrales (la BCE mais le Fed est dans la même situation), ce qui conduit chacune d’entre elles à aller se refinancer auprès de l’Institut d’émission en apportant du « collatéral ».  La conséquence de tout ce désordre : la seule variable d’ajustement est la taille du bilan et le crédit. Tous les canaux d’irrigation de l’économie sont asséchés les uns après les autres, les particuliers, les PME et, même les grandes entreprises qui, elles, ont encore, pour les meilleures d’entre elles, la possibilité d’émettre sur le marché à court-moyen-long terme. Un désastre….

                                                                         *

La conséquence de toute cette chienlit économique et financière, c’est que nos économies partent en vrille (image aéronautique après l’image maritime…), dans une spirale incontrôlée. L’écroulement des banques en 2007-2008 a fait exploser des dettes publiques déjà mal en point. Maintenant, les risques sur les dettes publiques poussent les banques au bord du gouffre. Pour retarder l’échéance,  les banques n’ont qu’une issue : couper dans le bilan. Mais, ce faisant, elles asphyxient tous les agents économiques et les problèmes rencontrés par ces derniers, c’est moins d’impôts, plus de déficits publics, des banques de plus en plus fragiles et ainsi de suite….. Et si les économies européenne, atlantique, mondiale devenaient une gigantesque Grèce ? Croyez-vous vraiment qu’il suffira d’imprimer de la monnaie, encore de la monnaie, toujours plus de monnaie …. pour nous en sortir ?

Ch. Gomez

 


[1] Elle avait un titre évocateur. « Time to flee Euro-zone? »

[2] Un « Credit Default Swap » est un contrat entre deux parties où l’une accepte d’assurer l’autre contre un risque de défaillance moyennant une prime annuelle exprimée en basis point (centième de %) égale à 1000€ par €10 millions

[3] Nouveau cadre règlementaire pour régir le fonctionnement des banques (capital, liquidité….)

[4] Eléments du passif bancaire considérés comme du quasi-capital en function de son caractère “junior” (subordonné) par rapport à la dette classique.

_______________________________

 

Mots clefs :    CDS, Credit Default Swaps, dette publique, euro, euro-zone, crise, défaillance bancaire, bilans bancaires, économie européenne, économie mondiale, bâle 3, crédit bancaire,  fonds propres des banques, BCE (Banque centrale Européenne), Fed (Federal Reserve Board)          

 

 

 


Edito: EUREKA, EURECA, …EUROCANULAR ?

1 octobre 2011

CRISE DE L’EURO

EUREKA, EURECA, …EUROCANULAR ?

Quelques réflexions sur un « plan miracle » proposé par un cabinet de Consultants

 Roland Berger Consultants (RBC), Cabinet très prestigieux  outre-Rhin, n’était pas bien connu en dehors de l’Allemagne. Maintenant, c’est fait et c’était probablement bien là le but ultime de ce plan élaboré, sans doute à la va-vite  mais avec beaucoup de brio,  pour « sauver » la Grèce et l’euro grâce à une idée lumineuse bien que peu originale : la vente massive d’actifs pour éponger au moins une partie de la dette. Une fois ceci fait, tout deviendrait si simple, vraiment si simple, enfin presque….

Pour bien faire comprendre l’idée, transposons la à la France qui, elle aussi, pourrait faire face à des problèmes comparables avec une dette qui vient d’atteindre 86% de son PIB. Dans le plan RBC, c’est très simple, il faudrait vendre tout ce qui pourrait  être vendu pour atteindre un niveau acceptable de dette qui deviendrait gérable. Donc, imaginons la mise en vente : D’abord, toutes les participations de sociétés cotées (le plus simple), puis SNCF, RFF (Réseau Ferré de France), CEA, les Ports dont Marseille, les Sociétés de Navigation, comme la SNCM, … et, pourquoi pas ?, les Musées (Pompidou, Louvre), …les Châteaux à visiter, …bref tout ce qui serait susceptible de générer des revenus à l’avenir et, donc, qui a une valeur capitalistique ( je ne sais si RBC suggère aussi de vendre les Œuvres d’Art qui, elles, ont une valeur d’usage instantanée et pourraient rapporter gros). Il est facile de se rendre compte immédiatement que, derrière cette liste à la Prévert, chaque actif présente des problèmes spécifiques : (1) il y a des « loss makers » chroniques dont les pertes ne disparaitront du jour au lendemain et qu’il faudra éponger pendant un temps plus ou moins long, (2) des gens qui  sont protégés par des myriades de statuts en « béton » et donc non « ajustables » sur demande, d’autres qui ont des anciennetés qu’il faudra indemniser et (3) des tas de problèmes juridiques à débrouiller…  La liste des actifs grecs à vendre n’est pas donnée par RBC, ni la méthode de calcul de la valeur des actifs et de tous les frais afférents, mais il est facile de présumer que tout ceci a été fait avec une « grosse louche », disons à 50% près ….. avec un objectif bien précis : que ce soit assez « cher » pour se rapprocher de l’objectif requis  de réduction de la dette et sans que cela signifie vendre toute la Grèce « utile » (pour les financiers, bien sûr).

 Passons maintenant à une analyse plus détaillée et plus centrée sur la Grèce en distinguant 5 points.

(1)   Le niveau de départ de la dette : RBC part du niveau actuel de 145% comme si la réalisation de cette vente à une « holding » européenne pouvait se faire demain. Comme nous le montrons en (2), c’est  hautement improbable et il vaut mieux prévoir 1 à 2 ans  minimum, soit un niveau du ratio  Dette/PIB plus proche de 150/160 ( voire plus) que de celui retenu. Bien sûr, en bon financier, il serait toujours possible d’imaginer un « bridge financing » mais vu l’incertitude sur le prix des actifs, cela reviendrait à mutualiser d’emblée la dette grecque au niveau européen contre la promesse d’un collatéral à la valeur bien aléatoire….

(2)    Le prix des actifs dans la transaction : Contrairement au schéma de la « Treuhand »[1], souvent cité, dans lequel  tous les actifs de l’ancienne Allemagne de l’Est avaient été apportés à une valeur nulle puisqu’ils n’appartenaient à personne, il s’agirait ici d’apporter des actifs à une holding détenue par un consortium d’Organismes européens pour un montant de 125 milliards d’euros. Il serait donc nécessaire d’évaluer les actifs et de  déterminer leur prix de transfert. Pour cela, il faudrait : (1) évaluer les postes du bilan (valeur à la casse) (2) évaluer les revenus potentiels de l’entreprise sur un horizon d’au moins  10 ans et toutes les économies, notamment de frais de fonctionnement (personnel en particulier) qu’il faudrait réaliser, (3) estimer toutes les charges de restructuration (indemnisation des employés licenciés par exemple) et régler les problèmes de prise en charge des droits à la retraite. …. Bref, faire un vrai « business plan » dont dépendra en définitif le   prix à payer pour chacun des actifs, sachant que le prix à payer sera : valeur estimée de l’actif- dettes reprises…. Une petite nuance dont il faut tenir compte car, on peut présumer que toutes ces entreprises croulent sous les dettes et que l’on trouvera très souvent, après redressement des  comptes, des valeurs nettes négatives.  JE PRETENDS QUE, MÊME EN ENGAGEANT TOUTES LES BANQUES D’INVESTISSEMENT DE LA   PLANÈTE, IL FAUDRAIT AU MOINS DEUX ANS POUR DÉBROUILLER TOUS LES PROBLÈMES ET TRACER DES PERSPECTIVES CLAIRES POUR CHACUN DES ACTIFS RETENUS.

(3)   A SUPPOSER CES PROBLÈMES RÉSOLUS, EST-CE QUE LE PROBLÈME DE LA DETTE SERAIT EN VOIE DE RÉSOLUTION ?  Certes des économies seraient réalisées sur le paiement des intérêts de la dette et sur les remboursements à effectuer, mais la dette resterait encore aux alentours de 100% (peut-être plus encore compte tenu de tous les nouveaux coûts extériorisés par le processu d’évaluation,  que le budget devrait prendre en charge, comme les régimes de retraite des entreprises publiques « vendus » par exemple) dans un contexte qui resterait très dépressif (voir point 4). Il est plus que probable que les taux d’intérêt sur la dette restante seraient supérieurs au taux de croissance de l’économie et que la dette se remettrait à croitre à nouveau sauf à dégager un excédent primaire significatif, ce qui accroitrait la pression déflationniste dans un contexte marqué par un taux de chômage extrêmement élevé (toute l’économie grecque serait en restructuration, avec dégraissages massifs)

(4)    LE TAUX DE CROISSANCE POSTULÉ APRÈS RESTRUCTURATION (+5% CONTRE -5%/-7% ACTUELLEMENT) EST COMPLÈTEMENT IRRÉALISTE : Il a été en fait calculé pour les besoins de la cause en postulant que (1) les fonds liés à la restructuration de l’appareil productif, qui s’ajouteraient aux fonds d’aide européens, joueraient un rôle de stimulus ; (2) les banques, débarrassées, au moins pour une part, des obligations publiques qu’elles détenaient, se remettraient à prêter, réamorçant ainsi la machine économique. En fait, réfléchissons un peu : (1) le problème de la non-compétitivité de la Grèce n’aurait pas été résolu ; (2) la politique budgétaire resterait globalement déflationniste avec  la poursuite des économies budgétaires et des tentatives de faire mieux rentrer des impôts augmentés ;  (3) les agents économiques, dans une économie en pleine restructuration, auraient plutôt tendance à se retrancher et à augmenter leur « bas le laine » ; (2) l’impact net des fonds de restructuration serait moins important qu’il n’est dit car ils seraient versés une fois (multiplicateur bien éphémère dans le contexte que nous venons de décrire), les fonds européens ayant, eux, un impact conjoncturel nul puisqu’ils existent déjà, (3) De plus, il faudrait que, très rapidement,  des dividendes prennent le chemin de la holding pour que celle-ci puisse rembourser les apporteurs des 125 milliards.

(5)   ….ET BIEN SÛR, TOUT CELA SANS COMPTER LES OBSTACLES SOCIAUX ET LES PROBLÈMES POLITIQUES :   les gens ne vont pas voir tout remis en cause, y compris leurs libertés politiques,  sans réagir dans une Grèce qui deviendrait une espèce de « colonie » d’un consortium européen, avec des « gauleiters » (comme l’actuelle « Troïka », la bien nommée) européens, à dominante allemande, venant « casser les reins » des syndicats grecs. Il faut ici laisser nos lecteurs à leur imagination……

                                                    **************

Au début de la crise, des journaux allemands avaient suggéré à la Grèce de vendre toutes ses îles à des investisseurs internationaux et cela avait fait jaser et …. frémir les grecs. Or, ce plan est un « remake » de la même idée, présenté de manière plus sophistiquée, avec tout le brio et la côté bonimenteur des grands professionnels du « Consulting » et Roland Berger Consulting fait partie de ceux-là. Qu’une telle idée ait pu être prise au sérieux et rapportée dans de grands journaux et dans d’autres grands media comme un possible remède miracle pour résoudre la crise européenne et écraser les « méchants spéculateurs »  montre la profondeur de la désespérance de certains milieux pro-européens mais aussi une  incompétence problématique.  Heureusement, Angela Merkel et Wolfgang Schaüble ne font pas partie de ceux-là et gardent « la tête sur leurs épaules » !

Christian Gomez


[1] Treuhand : organisme chargé au début des années 90  des opérations de restructuration et de privatisation des entreprises industrielles et commerciales d’Allemagne de l’Est.


Le retour à l’État du privilège exclusif de la création monétaire

8 novembre 2010

Extraits de « l’impôt sur le capital et la réforme monétaire » Maurice Allais – Ed Hermann  –

Nouvelle édition octobre 1988 – pages 200 à 209

_____________________________________

Il résulte de l’analyse qui précède que le système du crédit est entaché de défauts essentiels et la question se pose de savoir si ces défauts ne sont pas inhérents à toute économie décentralisée et de propriété privée. En fait il n’en est rien, et une réforme relativement facile à mettre en œuvre pourrait affranchir le système actuel du crédit de ses inconvénients majeurs.

DÉFAUTS MAJEURS DU SYSTEME ACTUEL DE CRÉDIT

Pour six raisons au moins, la création (ou la destruction) irresponsable de monnaie par les décisions des banques et des particuliers, la très grande sensibilité du mécanisme du crédit à la situation conjoncturelle, l’instabilité foncière qu’il engendre, l’altération des conditions d’une efficacité maximale et l’altération de la distribution des revenus qui en sont les conséquences, et enfin l’impossibilité de tout contrôle efficace du système du crédit par l’opinion publique et le parlement en raison de son extraordinaire complexité, l’organisation actuelle du crédit, dont l’origine historique a été tout à fait contingente, apparaît comme tout à fait irrationnelle.

En tout état de cause, il serait souhaitable que la masse monétaire globale augmente à une allure régulière, ce qui, de toute évidence, paraît impossible au regard de la structure actuelle du système du crédit.

La création de monnaie et de pouvoir d’achat par le mécanisme du crédit, les profits correspondants et l’altération de la distribution des revenus

La répartition des revenus constituant l’objet essentiel de ce livre, il paraît souhaitable de rappeler brièvement comment la distribution des revenus est altérée par le mécanisme du crédit.

Le mécanisme du crédit a pour effet d’augmenter la masse monétaire d’un montant égal au montant global des dépôts que leurs détenteurs considèrent comme des encaisses, déduction faite de leur couverture en monnaie de base. Les dépôts bancaires considérés par leurs détenteurs comme constituant des encaisses comprennent tous les dépôts à vue et la plus grande partie des dépôts à terme.

Au moins en première approximation, la fraction des dépôts à terme jouant le rôle de monnaie peut être estimée aux deux tiers environ des dépôts à terme. Cette fraction représente approximativement le montant global des dépôts à terme de moins de trois mois.

La masse monétaire peut ainsi être estimée comme égale au montant global de la monnaie de base (billets et pièces, comptes courants postaux, dépôts à la Banque de France et au Trésor) et du montant global des dépôts bancaires jouant le rôle de monnaie (dépôts à vue et deux tiers des dépôts à terme) et non couverts par de la monnaie de base. La monnaie créée par le mécanisme du crédit est égale à l’excès de la masse monétaire sur la monnaie de base 5. Quant à la distribution des revenus, les effets du mécanisme du crédit peuvent s’analyser à un double point de vue. Tout d’abord le mécanisme du crédit permet la création chaque année d’un pouvoir d’achat supplémentaire égal à l’augmentation de l’excès de la masse monétaire sur la monnaie de base. Ce pouvoir d’achat est compensé en comptabilité par un endettement vis-à-vis des banques des agents économiques qui en bénéficient. Lorsque leurs emprunts sont remboursés la création initiale de pouvoir d’achat se trouve compensée par la destruction d’un pouvoir d’achat égal, mais si les banques reprêtent indéfiniment les sommes remboursées, la création initiale de pouvoir d’achat devient définitive. Si les banques ne renouvelaient pas leurs prêts non couverts par de la monnaie de base, le seul pouvoir d’achat créé correspondrait aux intérêts courus, mais comme en fait l’excès de la masse monétaire sur la monnaie de base croît constamment, l’accroissement chaque année de cette différence correspond à une création définitive de pouvoir d’achat ex nihilo qui se traduit par la hausse des prix et la perte d’un pouvoir d’achat égal de l’ensemble des consommateurs. De 1968 à 1975 le pouvoir d’achat ainsi créé ex nihilo par le mécanisme du crédit bancaire a représenté en moyenne une fraction d’environ 5,2 % du revenu national. Au cours des années 1974 et 1975 il a représenté en moyenne 8,6 % du revenu national.

Un second point de vue consiste à considérer non pas le pouvoir d’achat nouveau créé ex nihilo dans l’année considérée, mais les intérêts correspondant au montant global de la monnaie bancaire existant à l’époque considérée (dépôts bancaires à vue et approximativement deux tiers des dépôts bancaires à terme) non couverts par de la monnaie de base. Ce montant est égal à l’excès de la masse monétaire sur la monnaie de base. Le montant global de ces intérêts est approximativement égal, au produit de l’excès de la masse monétaire sur la monnaie de base par le taux d’intérêt à long terme des obligations de premier rang. Au 31 décembre 1975 l’excès de la masse monétaire sur la monnaie de base correspondait approximativement à 40 % du revenu national et le taux d’intérêt à long terme des obligations de premier rang était de l’ordre de 9%. Les intérêts annuels correspondants représentaient donc environ 3,6 % du revenu national. Cette fraction correspondait aux profits distribués, plus ou moins aveuglément, pendant l’année considérée à une foule de parties prenantes par le mécanisme du crédit.

Que l’on adopte l’un ou l’autre point de vue le mécanisme du crédit a pour effet d’altérer profondément la distribution des revenus au profit de certains et au détriment des autres. Si on admet les principes d’équité et de justice sociale qui paraissent communément admis par les majorités politiques d’aujourd’hui, il conviendrait d’attribuer à l’État, et à l’État seul, le bénéfice de la création monétaire.

Principes d’une réforme du crédit

Si l’on veut pallier les défauts majeurs du système du crédit, il convient de le réformer profondément. Cette réforme doit s’appuyer sur deux principes fondamentaux :

— Le domaine de la création monétaire doit relever de l’État et de l’État seul. Il convient de lui donner une maîtrise totale de la masse monétaire.

— Il convient d’éviter toute création monétaire autre que celle de la monnaie de base de manière que personne en dehors de l’État ne puisse bénéficier des faux droits résultant actuellement de la création de monnaie bancaire, c’est-à-dire de manière que toute dépense trouve son origine dans un revenu effectivement reçu.

Ces deux principes impliquent que tout dépôt à partir duquel des paiements peuvent être effectués soit intégralement couvert en monnaie de base.

Fondements d’une réforme

Pour éviter les inconvénients majeurs du système actuel du crédit, les fonctions bancaires assurées aujourd’hui par les banques et les intermédiaires financiers devraient être réparties après une période de transition convenable entre deux types d’établissements, les banques de dépôt et les banques de prêts.

Les banques de dépôt assureraient la garde des dépôts en monnaie de base et effectueraient sur leur demande les encaissements et les paiements de leurs clients. Les services correspondants seraient facturés. Il serait interdit aux banques de dépôt de procéder à quelque activité de prêt que ce soit. Le principe de leur gestion serait celui d’une couverture intégrale des dépôts en monnaie de base. Tous les dépôts seraient des dépôts à vue.

Les banques de prêts assureraient comme aujourd’hui le négoce des promesses de payer, mais la règle de leur gestion, au contraire de ce qui est pratiqué aujourd’hui, serait que tout prêt d’un terme donné devrait être financé à partir d’un emprunt de terme au moins aussi long. Ainsi au lieu d’emprunter à court terme pour prêter à long terme, elles emprunteraient à long terme pour prêter à plus court terme. Elles devraient avoir l’obligation de publier la distribution des éléments de leurs actifs et de leurs passifs suivant leur maturité. Il serait interdit à ces banques de recevoir des sommes en dépôts à vue et d’effectuer des encaissements ou des paiements pour le compte de leurs clients.

Ces dispositions s’appliqueraient intégralement aux filiales des banques étrangères •situées en France, non seulement pour les dépôts en francs, mais également pour tous les dépôts stipulés en monnaies étrangères.

Dans le cadre de ces principes, le contrôle de la gestion des établissements financiers serait bien plus aisé que le contrôle du système actuel de couverture fractionnaire.

Tous les financements effectués actuellement par le système bancaire resteraient possibles, mais ils seraient assurés suivant des modalités différentes. En fait, l’intérêt des banques de prêts les amènerait à égaliser autant que possible leurs emprunts et leurs prêts d’un terme donné, condition en tout état de cause nécessaire pour la réalisation d’une situation d’efficacité maximale de l’économie.

Naturellement l’ensemble du système bancaire ne pourrait assurer une couverture intégrale des dépôts à vue et de ceux des dépôts à terme qui jouent actuellement le rôle d’encaisses que si lors de la mise en application de la réforme du crédit, l’État, par l’intermédiaire de la Banque de France, accordait au secteur bancaire un prêt à long terme portant intérêt dont le montant global serait égal à l’excès de la masse monétaire sur la monnaie de base. Le taux d’intérêt pourrait être au départ relativement faible, mais il serait progressivement porté au niveau des taux d’intérêt correspondant aux obligations de premier ordre diminué de 2 % ( note : Les frais de fonctionnement des banques représentent environ 2 % du montant global des dépôts. On peut encore dire que la différence entre la moyenne des taux d’intérêt actifs (c’est-à-dire des taux d’intérêt reçus par les banques) et la moyenne des taux d’intérêt passifs (c’est-à-dire des taux d’intérêt payés par les banques) est de l’ordre de 2 %.)

Ainsi qu’il a déjà été indiqué, les ressources supplémentaires susceptibles d’être obtenues par la réforme proposée du crédit peuvent être estimées à au moins 3 % du revenu national « . Cette estimation à 3 % environ du revenu national des ressources supplémentaires permises par la réforme du crédit correspond à une hausse modérée des prix de 2 %. Si cette hausse était plus forte par exemple de 6 % par an, cette estimation devrait être majorée et portée de 3 % à 4,5 % environ.

Enfin dans le cadre d’une telle réforme, il conviendrait de restituer au secteur privé toutes les activités des banques nationalisées (à l’exclusion naturellement de la Banque de France) ainsi que les fonctions de dépôt et de virement assurées actuellement par les Comptes courants postaux. De même le Conseil national du Crédit n’aurait plus d’autre utilité que de contrôler que les règles de fonctionnement des banques de dépôt et de prêt sont effectivement observées.

Avantages ou système proposé

Une telle organisation permettrait la réalisation simultanée de six conditions tout à fait fondamentales :

—L’impossibilité de toute création monétaire en dehors de celle de la monnaie de base.

—La suppression de tout déséquilibre potentiel résultant du financement d’investissements à long terme à partir d’emprunts à court terme.

—L’égalité approximative du montant global des investissements et des épargnes d’un terme donné pour les banques de prêts, et la facturation effective des coûts des opérations de garde et de transfert de fonds pour les banques de dépôt, conditions nécessaires d’efficacité pour l’économie.

—L’expansion de la masse monétaire globale au taux souhaité par les autorités monétaires.

—Le retour à la collectivité des gains provenant de la création monétaire et l’allégement en conséquence des impôts existants.

—Un contrôle aisé par l’opinion publique et par le parlement de la politique monétaire et de ses implications.

Tous ces avantages seraient essentiels. La profonde réforme que leur obtention implique se heurterait à de puissants intérêts et à des préjugés fortement enracinés. Mais, au regard des crises majeures que le système actuel du crédit ne cesse de susciter et que les autorités monétaires se révèlent incapables de maîtriser, elle apparaît comme une condition nécessaire de survie de l’économie décentralisée et efficace du monde occidental.

Les objections

De nombreuses objections ont été présentées à rencontre de cette réforme. Je me bornerai ici à discuter les plus importantes :

Le système du crédit ne pourrait plus fonctionner

Il est bien exact qu’il ne pourrait plus fonctionner comme maintenant, mais toutes les opérations actuellement effectuées par les banques resteraient possibles.

Les paiements et encaissements continueraient à être effectués par les banques de dépôt pour le compte de leurs clients ainsi que la tenue de leurs comptes. La seule différence serait que ces services seraient facturés à leurs coûts véritables.

Toutes les opérations de prêt qui se constatent aujourd’hui resteraient parfaitement possibles. Elles seraient assurées par les banques de prêt avec cette seule différence que ces banques emprunteraient à terme pour prêter à plus court terme.

Le système du crédit n’offrirait plus la même souplesse qu’aujourd’hui

Tout dépend évidemment du sens que Ton donne au mot « souplesse ». Si l’on entend par là le fonctionnement efficace du système bancaire, il resterait tout aussi efficace qu’aujourd’hui. Mais si l’on interprète ce terme comme la possibilité de créer ex nihilo de la monnaie et du pouvoir d’achat au profit de certains et aux dépens des autres, alors il est bien certain que la « souplesse » actuelle disparaîtrait. Mais pour toutes les raisons qui ont été développées il paraît bien difficile de la considérer comme avantageuse pour la collectivité. En tout état de cause c’est là un des objectifs essentiels de la réforme suggérée que de la faire disparaître.

Les encaisses des entreprises et des particuliers seraient moins bien utilisées qu’actuellement

Il est bien certain que le système actuel de couverture fractionnaire des dépôts permet une duplication des encaisses, duplication qui deviendrait totalement impossible avec le système proposé. En fait l’argument consistant à dire que le système du crédit permet de réaliser une économie d’encaisses était certainement valable au dix-neuvième siècle. A une époque en effet où la monnaie de base était fondamentalement constituée par des espèces métalliques, on pouvait valablement considérer comme raisonnable un système qui permettait d’effectuer plus de paiements avec moins d’encaisses métalliques. Mais aujourd’hui que la monnaie a été entièrement détachée de tout bien réel, c’est là un argument qui n’a plus de valeur.

Il convient d’ailleurs de rappeler que si au dix-neuvième siècle le système de la couverture fractionnaire du crédit a effectivement permis une économie d’espèces métalliques, il a constamment conduit à une instabilité foncière et à des crises de grande ampleur qui ont gravement compromis le fonctionnement de l’économie toute entière.

Le système proposé élèverait les taux d’intérêt et rendrait impossible le financement du développement économique

Tout d’abord en ce qui concerne les taux d’intérêt, la politique préconisée dans cet ouvrage, sur la base d’une hausse des prix modérée de 2 % et d’un accroissement de la production de 4 % environ, permettrait d’abaisser le taux d’intérêt nominal des obligations à long terme de premier rang à environ 5,5 % correspondant à un taux d’intérêt réel très modéré de 3,5 %.

En second lieu si, comme il est suggéré ci-dessous, les nouveaux emprunts des sociétés industrielles étaient indexés, en principal et en intérêts, elles trouveraient pour des taux d’intérêt réels de l’ordre de 3 à 5 % tous les capitaux dont elles auraient besoin, dès lors que leurs investissements seraient effectivement rentables.

La réforme du crédit aboutirait à pénaliser les bénéficiaires actuels du système du crédit

On pourrait encore avancer que la réforme générale projetée pénaliserait particulièrement tous ceux qui bénéficient actuellement des avantages tirés de la création de pouvoir d’achat ex nihilo par le mécanisme du crédit, qu’il s’agisse des déposants qui sont affranchis pour une très large part du coût de la gestion de leurs comptes ou qui obtiennent une rémunération de leurs dépôts, ou qu’il s’agisse de tous ceux qui du fait de la structure actuelle du crédit peuvent effectivement emprunter à des conditions plus avantageuses. Il est hors de doute que les bénéficiaires du système de crédit verraient disparaître les profits dont ils bénéficient, mais on voit difficilement comment l’on pourrait défendre le maintien de tels privilèges. Il n’y a pas lieu de rendre gratuitement des services qui en tout état de cause ont un coût qu’il faut bien supporter. Si un déposant est affranchi des frais relatifs à la tenue de son compte, la banque doit les supporter. Dans la situation actuelle elle peut le faire, car elle bénéficie des profits correspondant à la création de monnaie par le mécanisme du crédit. Qui en supporte réellement le coût ? L’ensemble des consommateurs pénalisés par la hausse des prix entraînée par l’accroissement de la masse monétaire. Dans le cadre de la réforme proposée et pour une même augmentation de la masse monétaire ces consommateurs resteraient pénalisés par la même hausse des prix, mais ils recevraient par ailleurs une compensation, puisque les gains provenant de la création monétaire revenant totalement à la collectivité pourraient financer une diminution égale des impôts qu’ils supportent.

Le système proposé ne serait pas applicable s’il n’était pas adopté par les autres pays

C’est là un argument qui ne saurait être valablement soutenu dès lors que les filiales des banques étrangères situées en France seraient soumises aux mêmes obligations que les banques françaises. Pour l’essentiel en effet la réforme envisagée implique deux conséquences : la vérité des prix en ce qui concerne les coûts des opérations bancaires et les taux d’intérêt, le retour à l’État des profits résultant de la création de monnaie. Aucune d’elles n’implique l’application universelle de la réforme. En tout état de cause, c’est là un argument qui n’a jamais été avancé par les adversaires du plan de « 100%-Money» lors de sa discussion aux États-Unis.

Le plan de couverture intégrale des dépots

Dans son principe le plan de couverture intégrale des dépôts n’est pas fondamentalement nouveau. A la suite de la spéculation intense et alimentée par le crédit qui a précédé la crise de 1929, et de la Grande Dépression qui a suivi, un certain nombre d’économistes américains de l’Université de Chicago ,5 ont préconisé en 1933 un système de couverture intégrale des dépôts à vue, système dit de « 100 % money » dans les pays anglo-saxons. Cette proposition a été reprise en 1935 par Irving Fisher qui lui a consacré un livre entier, 100 % Money, où ses différents aspects y sont complètement discutés « . Après la guerre elle a été à nouveau défendue par différents auteurs dont Milton Friedman ( Monetary and Fiscal Framework for Economie Stability, 1948) « . En France, l’idée a été soutenue par Pierre Cauboue (Philosophie de la banque, 1937) ‘* et par l’auteur du présent ouvrage {Économie et intérêt, 1947) « . L’argumentation essentielle en faveur de ce plan a été excellemment résumée par Irving Fisher :

« La proposition de  » 100% money  » — de porter le taux de couverture des dépôts à vue de 10%, ou à peu près, à 100% — peut apparaître étonnante à première vue. Mais c’est un fait historique que, dans les premiers temps du système des dépôts bancaires, une couverture à 100% des dépôts en monnaie de base était exigée.

« Le fait de faire revivre maintenant l’ancien système de couverture intégrale des dépôts, avec les réajustements impliqués par les conditions d’aujourd’hui, empêcherait effectivement l’inflation et la déflation monétaire suscitées par notre système actuel, c’est-à-dire stopperait effectivement la création et la destruction irresponsables de monnaie par nos milliers de banques commerciales qui agissent aujourd’hui comme autant d’instituts privés d’émission. Pour ces raisons, et d’autres encore, un système de  » 100% money  » présenterait un grand avantage, même pour les banquiers…

« Le plan est si simple qu’il peut être complètement exposé en quelques pages ; mais il affecterait la structure bancaire d’aujourd’hui, si complexe, et ses relations avec les affaires, de tant de manières que sa très grande simplicité et sa très grande portée soulèvent une multitude de questions dans les esprits de ceux qui sont familiers avec le système actuel bien plus compliqué… « L’essence du plan « 100% money  » est de rendre la monnaie indépendante des prêts, c’est-à-dire de séparer le processus de création et de destruction de monnaie du processus de prêt aux affaires. Un sous-produit tout à fait incident serait de rendre l’activité bancaire plus sûre et plus profitable ; mais de loin le résultat le plus important serait de prévenir les grands  » booms  » des affaires et les profondes dépressions en mettant fin aux inflations et aux déflations chroniques qui ont toujours constitué la grande calamité de l’évolution économique de l’humanité et qui ont été généralement suscitées par le système bancaire…

« Je suis arrivé à la conviction que ce plan, convenablement élaboré et appliqué, constitue incomparablement la meilleure proposition qui ait jamais été faite pour résoudre, rapidement et durablement, le problème des dépressions, car il supprimerait la principale cause à la fois des  » booms  » et des dépressions, savoir l’instabilité des dépôts à vue, liés, comme ils le sont maintenant, aux prêts bancaires.»

Cependant, quelle que soit sa valeur, le plan de l’École de Chicago néglige complètement la monétisation de tous les actifs des banques et des intermédiaires financiers autres que ceux correspondants aux dépôts à vue et il ne saurait être considéré comme suffisant pour faire disparaître les défauts majeurs du système actuel du crédit.

La conclusion essentielle de l’argumentation d’Irving Fisher, c’est la nécessité de séparer la création monétaire de l’activité de prêts. Cependant, la couverture intégrale des dépôts à vue ne saurait suffire pour assurer cette séparation et là se trouvait le défaut essentiel du plan de l’École de Chicago et d’Irving Fisher. Pour la réaliser il convient de dissocier complètement les deux activités de banques de dépôts et de  banques de prêts, ainsi qu’il a été indiqué. En fait, la répartition de l’activité bancaire actuelle entre deux sortes d’établissements tout à fait indépendants est une condition indispensable pour assurer une dissociation effective de la création monétaire et du négoce des promesses de payer.

En tout état de cause, l’argumentation d’Irving Fisher se fondait pour l’essentiel sur la considération des fluctuations conjoncturelles. Ce n’est pas là le seul argument à considérer. Du point de vue de cet ouvrage la répartition des revenus représente un élément d’une importance majeure.

La création de monnaie de base

Le projet de réforme qui vient d’être analysé concerne uniquement la structure des activités bancaires de dépôts et de prêts. Mais l’attribution à l’État et à l’État seul, du droit de créer de la monnaie et d’en percevoir les avantages ne signifie pas que la poursuite des errements actuels de la politique monétaire de l’État soit souhaitable.

Il serait en fait essentiel que la création de monnaie de base et son utilisation pour les dépenses de l’État soient soumises à un contrôle parlementaire effectif. La gestion des comptes courants postaux devrait être transférée aux banques de dépôt dont l’activité serait désormais limitée à l’exécution des encaissements et des paiements pour le compte de leurs clients. Les fonds drainés par les Caisses d’Épargne devraient être utilisés pour le financement d’investissements productifs de manière à assurer aux déposants une sécurité en valeur réelle. Dans tous ces domaines le principe général devrait être l’abandon des pratiques malsaines actuelles et la gestion des finances publiques dans des conditions de simplicité et de transparence rendant possible un contrôle efficace du parlement et de l’opinion publique. D’une manière générale la politique monétaire devrait faire l’objet d’une loi cadre définissant ses objectifs et ses conditions d’application sous le contrôle du parlement.

Le volume de la monnaie de base devrait être augmenté chaque année à une allure régulière de manière à assurer une croissance du niveau moyen des prix de l’ordre de 2 % par an. A cet effet le taux d’accroissement de la monnaie de base pourrait être fixé chaque année par la loi à une valeur égale au taux d’accroissement du produit national brut réel majoré de 2%..

Le sens de cette proposition est de fixer le rythme de la création de monnaie à un niveau suffisant pour permettre l’expansion en termes réels du produit national brut, ce niveau étant calculé avec une marge inflationniste modérée de 2 % par an. Cette disposition permettrait de ne jamais freiner l’expansion et d’assurer constamment une demande globale suffisante pour assurer l’écoulement effectif de la production à des prix lentement croissants .

Vue d’ensemble

L’ensemble de l’analyse qui précède soulève trois ordres de questions :

— Le fonctionnement actuel du mécanisme du crédit peut-il, ou non, être considéré comme satisfaisant? La distribution plus ou moins aveugle à une foule de parties prenantes des profits provenant de la création monétaire est-elle, ou non, justifiée ? Quelle est l’importance des profits ainsi distribués relativement au revenu national ?

— Si l’on juge ce fonctionnement indésirable, quelle réforme conviendrait-il de mettre en place? Quelles ressources l’État pourrait-il ainsi s’assurer relativement au revenu national au regard de l’expansion monétaire considérée comme souhaitable ?

— Une nouvelle organisation institutionnelle du crédit étant jugée désirable, comment envisager la transition de la situation actuelle à cette nouvelle organisation ?

C’est à ces questions qui, de toute façon, se posent à notre société, que j’ai tenté de donner des éléments de réponse. Si les mesures proposées étaient mises en œuvre, il n’y aurait plus d’inflation ni de récession notables ; il y aurait une croissance régulière du produit national brut réel, et cette croissance serait la croissance maximale compatible avec l’ensemble des autres données de l’économie. La masse monétaire serait toujours plus que suffisante pour permettre l’expansion du produit national brut réel, puisque son taux d’accroissement serait toujours supérieur de 2 % au taux de croissance du produit national brut réel. Il ne pourrait non plus y avoir d’inflation notable puisque l’accroissement de la masse monétaire ne dépasserait jamais plus de 2 % l’accroissement du produit national brut réel. Il y aurait une expansion régulière dans un régime en équilibre dynamique, la vitesse de circulation de la monnaie restant, dans de telles conditions, pratiquement constante.

Non seulement les réformes proposées répondent à tous les enseignements que l’on peut dégager de tous les éléments connus de l’histoire monétaire au cours des derniers siècles, mais ces réformes constituent l’aboutissement naturel de toutes les analyses de la dynamique monétaire qui ont été effectuées dans ces cent dernières années. Elles ont pour objet essentiel d’assurer à la fois le plein emploi, la croissance, une stabilité modérée des prix et l’équité de la répartition des revenus. L’objectif fondamental de ces propositions est double. Il est tout d’abord d’assurer l’équité de la répartition des revenus. Il est en second lieu de régulariser la croissance économique en évitant tout aussi bien les « surchauffes » inflationnistes que les coups de frein déflationnistes qui en sont la conséquence inévitable et qui se succèdent périodiquement pour le plus grand dommage de l’économie.

Je ne me dissimule en aucune façon le caractère révolutionnaire des propositions qui précèdent dans la mesure où elles aboutissent à dessaisir les grands organismes de crédit de la possibilité de créer de la monnaie scripturale, c’est-à-dire du droit de battre monnaie, et à réserver à l’État seul le droit de créer de la monnaie à une allure déterminée.

Sans doute ces propositions ne peuvent que susciter l’opposition de puissants intérêts et aller à rencontre de nombreux préjugés, mais il est certain que les mécanismes actuels du crédit reposent sur des bases pour une très grande part irrationnelles, dont l’origine historique est tout à fait empirique, qui n’ont cessé de se révéler très dommageables, et qui n’ont jamais été pensées très sérieusement, sauf par une minorité d’économistes, et cela aussi bien en France que dans les autres pays d’Europe occidentale et aux États-Unis.

Le principe essentiel du crédit et de la génération de la monnaie bancaire repose essentiellement sur la possibilité de prêter de l’argent qu’on ne possède pas ; c’est ce qui explique ses « miracles », et c’est ce qui en constitue à la fois l’irrésistible attrait et la très grande fragilité.

Toutes les crises monétaires du dix-neuvième siècle ont dérivé de cette situation. La grande crise des années trente aux États-Unis a eu pour cause essentielle un accroissement incontrôlé et déraisonnable du crédit et de l’endettement sur des bases fragiles. Il en a été de même de toutes les crises monétaires de ces dernières années. La situation économique actuelle des États-Unis (si prospère qu’elle puisse apparaître, et si sage qu’ait été dans l’ensemble la politique monétaire américaine de ces dernières années, si on la compare à la politique monétaire française), est pour les mêmes raisons potentiellement instable. De même encore la prolifération des euro-dollars a mené l’ensemble du monde occidental à une situation extrêmement dangereuse. Pour la France l’inflation a été constamment alimentée et permise, sinon suscitée, par le mécanisme du crédit.

En fait, si au cours du dix-neuvième siècle tant de crises financières sont survenues, et si au vingtième siècle tant de désordres monétaires se sont constatés et continuent d’être constatés, c’est qu’il doit y avoir à cela quelque raison. Cette raison, c’est que les hommes ont jusqu’ici insuffisamment réfléchi sur le rôle de la monnaie dans la vie de nos sociétés et sur les modalités suivant lesquelles la monnaie est créée au gré des contingences conjoncturelles et des intérêts particuliers, alors que cette création constitue certainement un des facteurs majeurs qui conditionnent leur vie économique et politique et qu’elle doit relever d’une politique consciente et rationnelle de l’État. Sur le plan national comme sur le plan international les principes fondamentaux sur lesquels repose le système monétaire doivent être entièrement repensés (Note :  La réforme du système du crédit qui a été définie dans ce chapitre n’a naturellement rien de commun avec le projet de nationalisation du secteur bancaire du Programme Commun de gouvernement de l’Union de la Gauche. La réforme proposée ici a en effet pour objet d’attribuer à l’État et à l’État seul le privilège de la création de monnaie et les profits correspondants. Mais quant aux activités des banques de dépôts et de prêts telles qu’elles ont été définies elles seraient entièrement exercées par le secteur privé)

________________________

Note 1 (note 10 dans l’édition 1977, pages 319/320) :

L’examen détaillé des mesures à prendre pour assurer la transition de la situation actuelle à la nouvelle organisation du crédit sort naturellement du cadre restreint de cet ouvrage. Les seules questions à résoudre sont des questions techniques qui ne soulèvent aucune difficulté de principe. Qu’il suffise ici d’en souligner les aspects essentiels.

— La mise en place de la réforme suppose tout d’abord que toute banque qui actuellement a la double activité de dépôts et de prêts opte entre l’activité de banque de dépôts et l’activité de banque de prêts.

—  Dés la date fixée comme départ de la réforme, les banques de prêts cesseraient toute activité de paiement ou d’encaissement pour le compte de leurs clients dont les dépôts seraient transférés dans les banques de dépôts de leur choix. A partir de la même date, les banques de dépôts continueraient de gérer les prêts antérieurement consentis, mais elles ne consentiraient aucun nouveau prêt.

—  A cette même date, la Banque de France, agissant pour le compte du Trésor, consentirait à l’ensemble du secteur bancaire un prêt d’un montant global à l’excès de la masse monétaire M sur la monnaie de base B à cette date. Ce prêt serait réparti entre les banques de dépôts et de prêts de telle sorte de tous les dépôts à vue et tous les dépôts dont le terme est de moins de trois mois soient intégralement couverts par de la monnaie de base. Les dépôts à terme dont le délai d’échéance est de moins de trois mois seraient transformés en dépôts à vue.

— Tous les dépôts à vue détenus par des banques de prêts seraient transférés avec leur contrepartie en monnaie de base dans des banques de dépôts au choix des clients.

— Les avances effectuées par la Banque de France aux banques de dépôts pour leur permettre d’assurer la couverture intégrale de leurs dépôts en monnaie de base porteraient intérêt au bénéfice du Trésor, le taux d’intérêt étant progressivement élevé au taux des obligations de premier rang diminué de 2%.

— A mesure que les prêts antérieurement consentis à leurs clients par les banques de dépôts leur seraient remboursés par leurs clients, elles en reverseraient les montants à la Banque de France en remboursement des avances reçues de sa part. La Banque de France serait ainsi en mesure de les reprêter à long terme aux banques de prêts de manière à ce qu’elles puissent faire face à toute les nouvelles demandes d’emprunts à court, à moyen et à long terme.

— Au total on voit ainsi que par de simples transferts de banques à banques on passerait dans un délai relativement bref à une situation où la totalité des dépôts serait gérée par les banques de dépôts avec une couverture intégrale de leurs dépôts en monnaie de base et où la totalité des prêts serait gérée par les banques de prêts.

Lorsque tous les prêts antérieurement consentis par les banques de dépôts et les banques de prêts leur auraient été remboursés par leurs clients, le passif de l’ensemble des banques de dépôts serait égal au montant global des dépôts à vue et il serait compensé à l’actif par un montant égal en monnaie de base (billets et pièces, et dépôts à la Banque de France) correspondant aux dépôts de leurs clients. Le passif des banques de prêts serait constitué par les emprunts qu’elles auraient fait soit à la Banque de France, soit au public ; leur actif serait constitué par les créances correspondant aux prêts qu’elles auraient consenti à des termes plus courts à leurs clients.

_______________

Note 2:

Le taux d’augmentation de la monnaie de base pourrait être fixé chaque trimestre, sa valeur étant égale au taux d’augmentation du produit national brut réel le trimestre précédent majoré de 0,25 %.

Comme je l’indiquais en 1967, cette proposition est analogue à celle de Milton Friedman, qui propose de fixer le taux d’expansion de la masse monétaire à 4 % par an (A Program for Moneta-ry Stability, pp. 90 et 100). Mais en fixant le taux d’accroissement de la masse monétaire à une valeur indépendante du taux d’accroissement du volume de la production Milton Friedman introduit une rigidité peu désirable.

Milton Friedman a montré de manière convaincante que dans la plupart des cas les interventions des autorités monétaires américaines ont joué à contresens (voir son très intéressant ouvrage : A Monetary History of the United States, 1867-1960, National Bureau of Economie Research, 1963). La même démonstration pourrait sans doute être faite en ce qui concerne l’action des autorités monétaires françaises au cours du dernier siècle.


Ch. Gomez: « faut-il interdire les délocalisations ? »

20 octobre 2010

UNE THÉORIE CORRECTE, UNE APPLICATION ERRONÉE

Réponse à l’article de Jean Imbs : « faut-il interdire les délocalisations ? »

Le Professeur Imbs (Le Temps du 14 février) nous a délivré un trés intéressant plaidoyer en faveur de ce qu’on appelle aujourd’hui le Mondialisme, justifiant théoriquement les développements économiques actuels et nous promettant des lendemains radieux « dans le long terme », c’est à dire, dans le langage des économistes, dans un avenir difficile a préciser, compris entre 2 jours et plusieurs décennies……Pour ce faire, la théorie ricardienne des coûts comparatifs est largement mise à contribution, sous l’autorité du grand Samuelson, ce qui peut donner aux lecteurs non avertis  l’impression que le débat est tranché sur le plan scientifique et qu’ils n’ont qu’à s’incliner devant les arguments de la Science et de l’idéologie dominante réunies. Aussi mon propos est-il  de tempérer le propos en arguant que si la théorie mentionnée est correcte en soi, elle l’est dans les limites de ses hypothèses. Or, aucune de celles-ci n’est réalisée dans le monde actuel. Dès lors, son application erronéee peut avoir des conséquences dramatiques dans un contexte marqué par l’émergence de pays gigantesques ( le tiers de l’Humanite), disposant « d’armées industrielles de réserve » immenses et ayant des capacités technologiques incontestées (Chine, Inde…). Personnellement, j’utiliserai aussi un des plus grands économistes de ce temps (Maurice Allais, Prix Nobel 1988), pourtant réputé comme un grand esprit libéral, qui a fait de ce combat contre le « laisser-fairisme » un des derniers grands combats de sa vie. Le problème ici n’est pas de prendre partie, mais d’évaluer les problèmes et les risques des évolutions actuelles.

Théorie correcte, la démonstration de la théorie des coûts comparatifs supposent des conditions d’application très restrictives qui n’ont rien à voir avec les conditions d’aujourd’hui.

Lire le reste de cette entrée »