CRISE DE L’EURO
EUREKA, EURECA, …EUROCANULAR ?
Quelques réflexions sur un « plan miracle » proposé par un cabinet de Consultants
Roland Berger Consultants (RBC), Cabinet très prestigieux outre-Rhin, n’était pas bien connu en dehors de l’Allemagne. Maintenant, c’est fait et c’était probablement bien là le but ultime de ce plan élaboré, sans doute à la va-vite mais avec beaucoup de brio, pour « sauver » la Grèce et l’euro grâce à une idée lumineuse bien que peu originale : la vente massive d’actifs pour éponger au moins une partie de la dette. Une fois ceci fait, tout deviendrait si simple, vraiment si simple, enfin presque….
Pour bien faire comprendre l’idée, transposons la à la France qui, elle aussi, pourrait faire face à des problèmes comparables avec une dette qui vient d’atteindre 86% de son PIB. Dans le plan RBC, c’est très simple, il faudrait vendre tout ce qui pourrait être vendu pour atteindre un niveau acceptable de dette qui deviendrait gérable. Donc, imaginons la mise en vente : D’abord, toutes les participations de sociétés cotées (le plus simple), puis SNCF, RFF (Réseau Ferré de France), CEA, les Ports dont Marseille, les Sociétés de Navigation, comme la SNCM, … et, pourquoi pas ?, les Musées (Pompidou, Louvre), …les Châteaux à visiter, …bref tout ce qui serait susceptible de générer des revenus à l’avenir et, donc, qui a une valeur capitalistique ( je ne sais si RBC suggère aussi de vendre les Œuvres d’Art qui, elles, ont une valeur d’usage instantanée et pourraient rapporter gros). Il est facile de se rendre compte immédiatement que, derrière cette liste à la Prévert, chaque actif présente des problèmes spécifiques : (1) il y a des « loss makers » chroniques dont les pertes ne disparaitront du jour au lendemain et qu’il faudra éponger pendant un temps plus ou moins long, (2) des gens qui sont protégés par des myriades de statuts en « béton » et donc non « ajustables » sur demande, d’autres qui ont des anciennetés qu’il faudra indemniser et (3) des tas de problèmes juridiques à débrouiller… La liste des actifs grecs à vendre n’est pas donnée par RBC, ni la méthode de calcul de la valeur des actifs et de tous les frais afférents, mais il est facile de présumer que tout ceci a été fait avec une « grosse louche », disons à 50% près ….. avec un objectif bien précis : que ce soit assez « cher » pour se rapprocher de l’objectif requis de réduction de la dette et sans que cela signifie vendre toute la Grèce « utile » (pour les financiers, bien sûr).
Passons maintenant à une analyse plus détaillée et plus centrée sur la Grèce en distinguant 5 points.
(1) Le niveau de départ de la dette : RBC part du niveau actuel de 145% comme si la réalisation de cette vente à une « holding » européenne pouvait se faire demain. Comme nous le montrons en (2), c’est hautement improbable et il vaut mieux prévoir 1 à 2 ans minimum, soit un niveau du ratio Dette/PIB plus proche de 150/160 ( voire plus) que de celui retenu. Bien sûr, en bon financier, il serait toujours possible d’imaginer un « bridge financing » mais vu l’incertitude sur le prix des actifs, cela reviendrait à mutualiser d’emblée la dette grecque au niveau européen contre la promesse d’un collatéral à la valeur bien aléatoire….
(2) Le prix des actifs dans la transaction : Contrairement au schéma de la « Treuhand »[1], souvent cité, dans lequel tous les actifs de l’ancienne Allemagne de l’Est avaient été apportés à une valeur nulle puisqu’ils n’appartenaient à personne, il s’agirait ici d’apporter des actifs à une holding détenue par un consortium d’Organismes européens pour un montant de 125 milliards d’euros. Il serait donc nécessaire d’évaluer les actifs et de déterminer leur prix de transfert. Pour cela, il faudrait : (1) évaluer les postes du bilan (valeur à la casse) (2) évaluer les revenus potentiels de l’entreprise sur un horizon d’au moins 10 ans et toutes les économies, notamment de frais de fonctionnement (personnel en particulier) qu’il faudrait réaliser, (3) estimer toutes les charges de restructuration (indemnisation des employés licenciés par exemple) et régler les problèmes de prise en charge des droits à la retraite. …. Bref, faire un vrai « business plan » dont dépendra en définitif le prix à payer pour chacun des actifs, sachant que le prix à payer sera : valeur estimée de l’actif- dettes reprises…. Une petite nuance dont il faut tenir compte car, on peut présumer que toutes ces entreprises croulent sous les dettes et que l’on trouvera très souvent, après redressement des comptes, des valeurs nettes négatives. JE PRETENDS QUE, MÊME EN ENGAGEANT TOUTES LES BANQUES D’INVESTISSEMENT DE LA PLANÈTE, IL FAUDRAIT AU MOINS DEUX ANS POUR DÉBROUILLER TOUS LES PROBLÈMES ET TRACER DES PERSPECTIVES CLAIRES POUR CHACUN DES ACTIFS RETENUS.
(3) A SUPPOSER CES PROBLÈMES RÉSOLUS, EST-CE QUE LE PROBLÈME DE LA DETTE SERAIT EN VOIE DE RÉSOLUTION ? Certes des économies seraient réalisées sur le paiement des intérêts de la dette et sur les remboursements à effectuer, mais la dette resterait encore aux alentours de 100% (peut-être plus encore compte tenu de tous les nouveaux coûts extériorisés par le processu d’évaluation, que le budget devrait prendre en charge, comme les régimes de retraite des entreprises publiques « vendus » par exemple) dans un contexte qui resterait très dépressif (voir point 4). Il est plus que probable que les taux d’intérêt sur la dette restante seraient supérieurs au taux de croissance de l’économie et que la dette se remettrait à croitre à nouveau sauf à dégager un excédent primaire significatif, ce qui accroitrait la pression déflationniste dans un contexte marqué par un taux de chômage extrêmement élevé (toute l’économie grecque serait en restructuration, avec dégraissages massifs)
(4) LE TAUX DE CROISSANCE POSTULÉ APRÈS RESTRUCTURATION (+5% CONTRE -5%/-7% ACTUELLEMENT) EST COMPLÈTEMENT IRRÉALISTE : Il a été en fait calculé pour les besoins de la cause en postulant que (1) les fonds liés à la restructuration de l’appareil productif, qui s’ajouteraient aux fonds d’aide européens, joueraient un rôle de stimulus ; (2) les banques, débarrassées, au moins pour une part, des obligations publiques qu’elles détenaient, se remettraient à prêter, réamorçant ainsi la machine économique. En fait, réfléchissons un peu : (1) le problème de la non-compétitivité de la Grèce n’aurait pas été résolu ; (2) la politique budgétaire resterait globalement déflationniste avec la poursuite des économies budgétaires et des tentatives de faire mieux rentrer des impôts augmentés ; (3) les agents économiques, dans une économie en pleine restructuration, auraient plutôt tendance à se retrancher et à augmenter leur « bas le laine » ; (2) l’impact net des fonds de restructuration serait moins important qu’il n’est dit car ils seraient versés une fois (multiplicateur bien éphémère dans le contexte que nous venons de décrire), les fonds européens ayant, eux, un impact conjoncturel nul puisqu’ils existent déjà, (3) De plus, il faudrait que, très rapidement, des dividendes prennent le chemin de la holding pour que celle-ci puisse rembourser les apporteurs des 125 milliards.
(5) ….ET BIEN SÛR, TOUT CELA SANS COMPTER LES OBSTACLES SOCIAUX ET LES PROBLÈMES POLITIQUES : les gens ne vont pas voir tout remis en cause, y compris leurs libertés politiques, sans réagir dans une Grèce qui deviendrait une espèce de « colonie » d’un consortium européen, avec des « gauleiters » (comme l’actuelle « Troïka », la bien nommée) européens, à dominante allemande, venant « casser les reins » des syndicats grecs. Il faut ici laisser nos lecteurs à leur imagination……
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Au début de la crise, des journaux allemands avaient suggéré à la Grèce de vendre toutes ses îles à des investisseurs internationaux et cela avait fait jaser et …. frémir les grecs. Or, ce plan est un « remake » de la même idée, présenté de manière plus sophistiquée, avec tout le brio et la côté bonimenteur des grands professionnels du « Consulting » et Roland Berger Consulting fait partie de ceux-là. Qu’une telle idée ait pu être prise au sérieux et rapportée dans de grands journaux et dans d’autres grands media comme un possible remède miracle pour résoudre la crise européenne et écraser les « méchants spéculateurs » montre la profondeur de la désespérance de certains milieux pro-européens mais aussi une incompétence problématique. Heureusement, Angela Merkel et Wolfgang Schaüble ne font pas partie de ceux-là et gardent « la tête sur leurs épaules » !
[1] Treuhand : organisme chargé au début des années 90 des opérations de restructuration et de privatisation des entreprises industrielles et commerciales d’Allemagne de l’Est.