LES VOTES DU CONGRÈS AMÉRICAIN

12 octobre 2011

ÉDITOS-ACTUALITÉS : COMMERCE INTERNATIONAL

LES VOTES DU  CONGRÈS AMÉRICAIN SUR LES QUESTIONS COMMERCIALES:

BEAUCOUP DE POLITIQUE INTERNE, MAIS PAS DE STRATÉGIE RÉELLE

Les votes récents du Congrès sur des traités commerciaux entre les Etats-Unis et trois pays : Panama, Colombie et Corée (seul le troisième pays est bien sûr significatif) et le vote du Sénat sur une « bill » visant les pays qui sous-évaluent leur monnaie, c’est-à-dire, dans l’esprit des  sénateurs, essentiellement la Chine, m’ont inspiré quelques réflexions. La première chronique sera consacrée au Traité Corée-Etats-Unis.

LE TRAITÉ COMMERCIAL ETATS-UNIS-CORÉE

Il se trouve que , dans les derniers jours, je lisais le livre de Clyde Prestowitz, « The Betrayal of American Prosperity (Free Press, 2010), spécialiste des questions de commerce international[1], qui consacre près d’une page aux négociations préparatoires à ce traité qui se sont étalées sur plus de 5 ans. Il y montre comment les deux parties s’y prennent en général pour mener ces pourparlers et pourquoi l’une des parties est nécessairement perdante.

Du côté Coréen, le Gouvernement a une vision de l’avenir du pays et une claire idée des intérêts nationaux à défendre, ce qui lui permet de discuter avec les différentes parties concernées (d’abord, les grands « Chaebols ») pour obtenir des résultats stratégiques clairs et précis concernant les secteurs où ils veulent pouvoir faire des progrès sur le marché américain pour poursuivre leur expansion sur les marchés et asseoir si possible leur domination : rechercher des baisses de droits de douane en priorité sur certains produits en faisant éventuellement des concessions sur d’autres, moins stratégiques,  protection des entreprises coréennes contre des poursuites éventuelles concernant la propriété intellectuelle et les brevets  (je cite Prestowitz)…..

Du côté américain, il s’agit d’abord d’une démarche idéologique vague et imprécise visant à faire progresser le « free market », c’est à dire le libre-échange. Bien sûr, les négociateurs disposent d’une « wish List »  adressée par les industriels et les membres du Congrès  sur la base de laquelle ils vont essayer de défendre les intérêts américains. Mais, leur souci primordial est de ne pas mécontenter les parties les plus influentes politiquement et celles qui exercent le plus de pression avec tous les moyens à leur disposition (celles qui crient le plus fort en fait).  Et l’auteur de citer, comme exemple, le cas des exportations de bœuf considérées comme une priorité nationale par la partie américaine car l’homme qui défend les intérêts des éleveurs est (je cite) le Sénateur Max Baucus, représentant de l’Etat du Montana (état grand producteur de viande comme l’on peut s’en douter), mais surtout, Chairman de la Commission des Finances du Sénat….

La conséquence de la signature de ce traité est simple à prévoir : Le déficit Etats-Unis-Corée va continuer à se creuser en défaveur des Etats-Unis, avec des automobiles coréennes de plus en plus compétitives qui vont tailler des croupières à des producteurs américains sauvés de la faillite à grands frais par les contribuables américains et une industrie des semi-conducteurs qui va accroitre sa domination sur un secteur aussi stratégique pour les industries de la Défense. Du côté américain, peut-être quelques morceaux de viande en plus dans les « Korean Barbecues »…..

En fait, c’est toujours la même histoire qui recommence : la défense aveugle d’une simple idéologie[2], le « laisser-fairisme » échangiste comme disait Maurice Allais, face à des pays qui défendent leurs intérêts nationaux au nom d’une certaine vision de leur développement, conduit les économies occidentales au déclin et des catégories de la population de plus en plus nombreuses au désespoir. Mais, nous reviendrons sur toutes ces questions……

Christian Gomez


[1] Clyde Prestowitz est le fondateur et le Président du « Economic Strategic Institute » situé à Washington. Il fut négociateur principal pour les questions commerciales avec l’Asie sous l’administration Reagan et Vice-Chairman de la Commission pour le Commerce et le Développement pour la zone Asie-Pacifique sous la Présidence Clinton. Il est aujourd’hui membre du World Economic Forum et Consultant International.

[2]  Je ne peux que renvoyer aux exposés de Maurice Allais sur la question. Pour une synthèse générale, voir mon article pour le journal suisse Le Temps qui est sur ce site sous le titre : « Faut-il interdire les délocalisations ? Réponse au Professeur Imbs »


TOUCHÉ… TOUCHÉ… TOUCHÉ ENCORE… COULÉ?

5 octobre 2011

LA CRISE DE L’EURO

 

TOUCHÉ….  TOUCHÉ…TOUCHÉ ENCORE..… COULÉ?

Comment l’interaction Eurozone/banques-marchés ressemble à une « bataille navale» dont le perdant est connu à l’avance

 

En visionnant une video (3/10/2011)[1] du très remarquable chroniqueur du Financial Times, James MacKintosh, je ne pus m’empêcher, à la lecture d’un graphique montrant l’évolution des CDS (Credit Default Swaps[2]) sur les dettes publiques des pays européens, de penser à ce jeu de société que vous connaissez tous : « la Bataille navale ». Le graphique portait sur l’appréciation des dettes publiques. Mais la même image peut bien sûr s’adapter aux banques et, au-delà à l’euro-zone et à l’économie mondiale. Car, c’est bien de cela qu’il s’agit : de proche en proche, tous les vaisseaux, grands et petits,  de l’économie mondiale sont mis hors de combat.

Les dettes publiques : la dérive vers  la dislocation s’accentue

En ce qui concerne les dettes publiques,  il y avait les petites « vedettes » déjà coulées (Grèce) ou en passe de l’être (Portugal), avec des niveaux de prix des CDS de 600bp et au delà. Il y avait les croiseurs Espagne et Italie très touchés avec des CDS déjà autour de 500bp, alors qu’ils étaient à moins de 200 pour l’Italie en Juin (!). Mais, ce qui était le plus frappant, c’était l’évolution des CDS France et Allemagne, deux pays qui, vous me le concèderez, peuvent être assimilés, dans l’ordre, à un cuirassé et à un vaisseau amiral. La France était à moins de 100 jusqu’en juin mais, depuis, le CDS a commencé à décoller pour doubler en fin septembre, soit le niveau de l’Italie en Juin. Et, enfin, le choc : l’Allemagne elle-même était touchée. Il fallait payer moins de 50 bp pour s’assurer contre sa défaillance de janvier à juin. En début octobre, il fallait 100bp. Certes au niveau des taux d’intérêt payés, ces évolutions ne se traduisent encore par des effets de hausse puissants que sur les pays de la périphérie et l’Allemagne bénéficie pleinement de son statut de « safe haven », le seul pays à inspirer malgré tout confiance. Mais, la France, dont les taux calquaient ceux de l’Allemagne jusqu’à une date récente, a commencé à s’en détacher et les « spreads » (OATs-Bunds) à s’élargir. Qu’est-ce que cela veut dire ?

La réponse est simple : la crise de l’euro-zone ne fait que s’approfondir et, de plans de secours en plans d’urgence, avec des engagements toujours croissants des pays les plus solvables, en particulier de l’Allemagne et les autres pays de l’Europe du Nord, tout le monde est emporté par ce courant qui conduit  la zone euro vers sa  rupture, privée qu’elle est de toutes capacités de redressement, qu’elles soient fiscales (fuite dans le fédéralisme) ou monétaires (accentuation démesurée du financement monétaire par la BCE). On comprend l’Allemagne qui a dû déjà accepter de s’engager autour de 200 milliards dans l’élargissement de l’EFSF (European Financial Stability Facility) et qui résiste à toutes les tentatives pour, par des subterfuges tous plus dangereux les uns que les autres, donner à ce fonds plus de moyens afin de faire face aux crises des dettes des « grands » pays  (Italie, Espagne…. France ?). La situation est d’autant plus dramatique que les Banques sont en première ligne dans cet écroulement.

Les banques dans le tourbillon avant la chute

En effet, vis-à-vis des Banques, le marché joue déjà la défaillance des grands pays, comme l’Espagne et l’Italie. C’est ce qui explique l’effondrement des valeurs bancaires et la montée en flèche des CDS à des niveaux très supérieurs à ceux atteints au « pic » de la crise de 2008-début 2009. Une restructuration de la dette grecque, dont le premier stade est déjà connu, pourrait être absorbée sans trop de difficultés. Mais, des restructurations en chaine de l’Espagne et de l’Italie, avec la France en pointe de mire, ne pourraient être « encaissées » sans un KO technique au niveau des fonds propres. Là aussi, l’image du jeu de la « bataille navale » colle très bien. Dexia est le premier bateau, d’une taille déjà respectable à sombrer, privé de tous les moyens de sauvetage. Les banques Françaises sont sauvagement attaquées, perdant plus de 50% de leur valeur par rapport au début d’année et valorisées maintenant très en deçà de leur valeur comptable (book value). Elles tendent même à devenir des pestiférés comme le montre le fort recul de Morgan Stanley en bourse en début de cette semaine, suite aux inquiétudes liées à son exposition sur les banques françaises. Elles ne se comparent pas très bien à leurs pairs en matière de fonds propres et elles sont très exposées aux pays potentiellement défaillants. Il est symptomatique  que la Commission Européenne qui se scandalisaient, il y a seulement quelques « petites » semaines, à la seule évocation d’une recapitalisation des banques européennes, commence aujourd’hui à infléchir sa position et à dire que finalement….. Mais, en fait, à y regarder de près, c’est tout le système bancaire mondial qui est touché (voir les CDS de Bank of America ou Barclays) et au-delà, c’est toute l’économie mondiale qui est au bord de la conflagration.

L’économie européenne et mondiale en panne sèche en pleine tempête ?

Dans la situation actuelle, les banques font face à une situation exceptionnellement dangereuse et font courir des risques à l’économie mondiale des risques exceptionnellement élevés. En effet, les banques ont des problèmes de plus en plus aigus de refinancement. Au niveau des fonds propres, il est aujourd’hui pratiquement impossible de lever des capitaux, en dehors même des problèmes liés à la dilution des anciens actionnaires vu le niveau actuel des cours. Trouver de nouveaux actionnaires serait très difficile et émettre de la dette subordonnée ne pourrait se faire qu’à des conditions extrêmement onéreuses (et ce n’est même pas sûr de trouver des investisseurs), surtout avec les conditions requises par « Bâle 3 »[3] pour qu’elle puisse être comptabilisée même en « Tier 2 »[4]. Face à une aversion au risque d’un niveau quasiment jamais vu chez les investisseurs institutionnels,  la source de la dette « senior » classique s’est quasiment tarie. Même, la dette « couverte » (« Covered bonds »), largement utilisée dans les dernières années, est vue maintenant avec suspicion et des agences de notation ont commencé à lancer des signaux d’alerte en en soulignant les risques pour les investisseurs. Et, cerise (ou bombe ?) sur ce gâteau immangeable : les banques ne se font plus confiance entre elles et préfèrent placer leurs fonds auprès des Banques Centrales (la BCE mais le Fed est dans la même situation), ce qui conduit chacune d’entre elles à aller se refinancer auprès de l’Institut d’émission en apportant du « collatéral ».  La conséquence de tout ce désordre : la seule variable d’ajustement est la taille du bilan et le crédit. Tous les canaux d’irrigation de l’économie sont asséchés les uns après les autres, les particuliers, les PME et, même les grandes entreprises qui, elles, ont encore, pour les meilleures d’entre elles, la possibilité d’émettre sur le marché à court-moyen-long terme. Un désastre….

                                                                         *

La conséquence de toute cette chienlit économique et financière, c’est que nos économies partent en vrille (image aéronautique après l’image maritime…), dans une spirale incontrôlée. L’écroulement des banques en 2007-2008 a fait exploser des dettes publiques déjà mal en point. Maintenant, les risques sur les dettes publiques poussent les banques au bord du gouffre. Pour retarder l’échéance,  les banques n’ont qu’une issue : couper dans le bilan. Mais, ce faisant, elles asphyxient tous les agents économiques et les problèmes rencontrés par ces derniers, c’est moins d’impôts, plus de déficits publics, des banques de plus en plus fragiles et ainsi de suite….. Et si les économies européenne, atlantique, mondiale devenaient une gigantesque Grèce ? Croyez-vous vraiment qu’il suffira d’imprimer de la monnaie, encore de la monnaie, toujours plus de monnaie …. pour nous en sortir ?

Ch. Gomez

 


[1] Elle avait un titre évocateur. « Time to flee Euro-zone? »

[2] Un « Credit Default Swap » est un contrat entre deux parties où l’une accepte d’assurer l’autre contre un risque de défaillance moyennant une prime annuelle exprimée en basis point (centième de %) égale à 1000€ par €10 millions

[3] Nouveau cadre règlementaire pour régir le fonctionnement des banques (capital, liquidité….)

[4] Eléments du passif bancaire considérés comme du quasi-capital en function de son caractère “junior” (subordonné) par rapport à la dette classique.

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Mots clefs :    CDS, Credit Default Swaps, dette publique, euro, euro-zone, crise, défaillance bancaire, bilans bancaires, économie européenne, économie mondiale, bâle 3, crédit bancaire,  fonds propres des banques, BCE (Banque centrale Européenne), Fed (Federal Reserve Board)