LES VOTES DU CONGRÈS AMÉRICAIN

12 octobre 2011

ÉDITOS-ACTUALITÉS : COMMERCE INTERNATIONAL

LES VOTES DU  CONGRÈS AMÉRICAIN SUR LES QUESTIONS COMMERCIALES:

BEAUCOUP DE POLITIQUE INTERNE, MAIS PAS DE STRATÉGIE RÉELLE

Les votes récents du Congrès sur des traités commerciaux entre les Etats-Unis et trois pays : Panama, Colombie et Corée (seul le troisième pays est bien sûr significatif) et le vote du Sénat sur une « bill » visant les pays qui sous-évaluent leur monnaie, c’est-à-dire, dans l’esprit des  sénateurs, essentiellement la Chine, m’ont inspiré quelques réflexions. La première chronique sera consacrée au Traité Corée-Etats-Unis.

LE TRAITÉ COMMERCIAL ETATS-UNIS-CORÉE

Il se trouve que , dans les derniers jours, je lisais le livre de Clyde Prestowitz, « The Betrayal of American Prosperity (Free Press, 2010), spécialiste des questions de commerce international[1], qui consacre près d’une page aux négociations préparatoires à ce traité qui se sont étalées sur plus de 5 ans. Il y montre comment les deux parties s’y prennent en général pour mener ces pourparlers et pourquoi l’une des parties est nécessairement perdante.

Du côté Coréen, le Gouvernement a une vision de l’avenir du pays et une claire idée des intérêts nationaux à défendre, ce qui lui permet de discuter avec les différentes parties concernées (d’abord, les grands « Chaebols ») pour obtenir des résultats stratégiques clairs et précis concernant les secteurs où ils veulent pouvoir faire des progrès sur le marché américain pour poursuivre leur expansion sur les marchés et asseoir si possible leur domination : rechercher des baisses de droits de douane en priorité sur certains produits en faisant éventuellement des concessions sur d’autres, moins stratégiques,  protection des entreprises coréennes contre des poursuites éventuelles concernant la propriété intellectuelle et les brevets  (je cite Prestowitz)…..

Du côté américain, il s’agit d’abord d’une démarche idéologique vague et imprécise visant à faire progresser le « free market », c’est à dire le libre-échange. Bien sûr, les négociateurs disposent d’une « wish List »  adressée par les industriels et les membres du Congrès  sur la base de laquelle ils vont essayer de défendre les intérêts américains. Mais, leur souci primordial est de ne pas mécontenter les parties les plus influentes politiquement et celles qui exercent le plus de pression avec tous les moyens à leur disposition (celles qui crient le plus fort en fait).  Et l’auteur de citer, comme exemple, le cas des exportations de bœuf considérées comme une priorité nationale par la partie américaine car l’homme qui défend les intérêts des éleveurs est (je cite) le Sénateur Max Baucus, représentant de l’Etat du Montana (état grand producteur de viande comme l’on peut s’en douter), mais surtout, Chairman de la Commission des Finances du Sénat….

La conséquence de la signature de ce traité est simple à prévoir : Le déficit Etats-Unis-Corée va continuer à se creuser en défaveur des Etats-Unis, avec des automobiles coréennes de plus en plus compétitives qui vont tailler des croupières à des producteurs américains sauvés de la faillite à grands frais par les contribuables américains et une industrie des semi-conducteurs qui va accroitre sa domination sur un secteur aussi stratégique pour les industries de la Défense. Du côté américain, peut-être quelques morceaux de viande en plus dans les « Korean Barbecues »…..

En fait, c’est toujours la même histoire qui recommence : la défense aveugle d’une simple idéologie[2], le « laisser-fairisme » échangiste comme disait Maurice Allais, face à des pays qui défendent leurs intérêts nationaux au nom d’une certaine vision de leur développement, conduit les économies occidentales au déclin et des catégories de la population de plus en plus nombreuses au désespoir. Mais, nous reviendrons sur toutes ces questions……

Christian Gomez


[1] Clyde Prestowitz est le fondateur et le Président du « Economic Strategic Institute » situé à Washington. Il fut négociateur principal pour les questions commerciales avec l’Asie sous l’administration Reagan et Vice-Chairman de la Commission pour le Commerce et le Développement pour la zone Asie-Pacifique sous la Présidence Clinton. Il est aujourd’hui membre du World Economic Forum et Consultant International.

[2]  Je ne peux que renvoyer aux exposés de Maurice Allais sur la question. Pour une synthèse générale, voir mon article pour le journal suisse Le Temps qui est sur ce site sous le titre : « Faut-il interdire les délocalisations ? Réponse au Professeur Imbs »


JOBS EST MORT, VIVE LE CAPITALISME!

8 octobre 2011

Edito: Marchés-capitalisme

 

JOBS EST MORT, VIVE LE CAPITALISME!

La mort de Steve Jobs nous a tous touchés, tant chacun de nous  ressent combien cet homme a eu, par son génie, un impact sur nos vies. Le monde se souviendra longtemps de ces « Keynotes Speeches » pendant lesquels il dévoilait les dernières trouvailles de la firme de Cupertino qui allaient enflammer la planète. Sa longue silhouette pouvait faire apparaitre chaque année un corps de plus en plus décharné, rongé de l’intérieur par une maladie qui progressait inexorablement, il n’en enchantait pas moins son auditoire car son âme était intacte et son esprit toujours animé du feu de la création. Charme et fascination devant cette incarnation de l’intelligence, de la volonté et de la persévérance.

On a beaucoup vanté depuis le 5 octobre, avec raison, le grand créateur et le visionnaire. Je voudrais ici saluer le grand capitaliste, au sens le plus élevé du terme, le « destructeur-créateur » de Schumpeter. Le grand entrepreneur capitaliste doit être un visionnaire et un créateur mais il doit, en plus, imaginer comment faire partager ses idées au plus grand nombre en leur montrant que, grâce à ses produits ou à ses services, les gens vont travailler mieux, plus vite, moins cher et que, globalement la collectivité dans son ensemble va progresser. En bref, IL DOIT CRÉER DE LA VALEUR. Et cela, Steve l’a fait mieux que tout autre. Il a créé Apple (avec Steve Wozniak) dans le petit garage de ses parents  et il en a fait la plus grosse capitalisation boursière du monde (350  milliards de dollars !), une firme adulée sur toute la planète, car il révolutionnait plus que les techniques elles-mêmes, il changeait les rapports de l’utilisateur avec les nouvelles technologies. Il a créé PIXAR, pendant le temps d’un arrêt de jeu chez Apple, en imaginant une nouvelle manière de faire des dessins animés, bousculant ainsi toutes les vieilles firmes qui croquaient tranquillement leurs rentes de situation en recyclant indéfiniment la même camelote sous des emballages différents et qui furent obligés de changer pour ne pas sombrer. En bâtissant  par la seule force de son génie toutes ces entreprises magnifiques, Steve Jobs a encore une fois démontré  ce qu’était la quintessence de l’économie de marché et du capitalisme. Créer de la valeur et, bien sûr, en récolter les fruits, ce n’est pas « exploiter » son prochain, mais c’est au contraire trouver des chemins nouveaux pour satisfaire toujours mieux et plus les besoins humains. Certes, cela ne va  pas souvent sans souffrance et sans bouleversement (des firmes font faillite, des emplois sont menacés ou perdus…), mais c’est aussi le moteur du progrès (de nouvelles firmes naissent, de nouveaux métiers apparaissent), c’est ce qui, depuis la Révolution Industrielle, a permis à l’humanité de se donner toujours plus d’opportunités.

Un parcours et une œuvre comme ceux de Jobs doivent aussi nous interpeler sur le devenir de nos sociétés au moins sous deux aspects.

D’abord, Ils doivent nous permettre de distinguer les « bons » capitalistes, ceux qui créent de la valeur,  des « mauvais », ceux qui profitent sans vergogne de leurs rentes de situation et se construisent des fortunes sans prendre aucun risque. Il n’y a qu’à comparer les Jobs, Gates  (Microsoft), Ellison (Oracle) … avec tous ces « petits marquis » qui se sont construit des fortunes à la tête de grandes banques ou de grandes entreprises, à coup de salaires et de bonus mirobolants et d’octrois de stock-options à des prix d’exercice indécents. Les premiers sont l’honneur du capitalisme. Les seconds en sont la honte.

Ensuite, ils doivent nous conduire à nous interroger sur la manière de susciter toujours plus de vocations de chefs d’entreprise et de créateurs et, de ce point de vue, la situation française est particulièrement désespérante. Nous baignions dans une idéologie  « socialisante » qui « démonise » l’entreprise en masquant son véritable objet, présente les chefs d’entreprise comme des exploiteurs,  casse les ambitions des individus et en valorise les tendances les plus médiocres. Notre enseignement en est la quintessence en oubliant les vérités de « bon sens » que Bill Gates, un autre grand entrepreneur, a assénées récemment à des élèves d’un lycée américain, dont je cite quelques unes[1] : (1) la vie est injuste. Il faut vous y habituer (2) Le monde n’a rien à faire de votre amour-propre. (3) Et, il s’attend à ce que vous fassiez vraiment quelque chose avant que vous vous en félicitiez vous-même. …. (4) si vous pensez que votre prof est dur avec vous, attendez d’avoir un patron…(6) si vous êtes à côté de la plaque, ce n’est pas la faute de vos parents. Cessez de vous plaindre et tirez les leçons de vos erreurs…. (8) votre école peut être exempte du système « gagnant-perdant ». Pas la vie. Certaines  écoles ont supprimé les notes de passage et vous donnent autant de chances que vous voulez pour obtenir la bonne réponse. Pas la vie….. Effectivement, ce n’est pas en développant une culture de perdant que l’on forgera un état d’esprit de combattant pour les élites de demain.

                                                                      *

 Quelles que soient les crises que peut traverser un pays, il pourra toujours s’en sortir s’il sait nourrir en son sein des individus de la trempe de Jobs ou de Gates et les Etats-Unis en ont pléthore. Mais, nous ? Nous qui pensons plus à redistribuer les richesses, imprégnés que nous sommes par les idéologies de l’envie et du ressentiment, qu’à les créer, quel est notre avenir?  Décidément, Steve Jobs n’est pas  prêt à quitter nos pensées, lui qui trace la voie d’un vrai capitalisme, un capitalisme fondé sur le travail, l’effort et  la création, loin des miasmes d’un capitalisme financier dégénéré ou d’un socialisme inefficace, capable de partager seulement la médiocrité et d’exalter le renoncement.

Ch. GOMEZ


[1] Présent, N°7442, 28 septembre 2011

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Mots clefs : capitalisme, « Destructeur-Créateur », Schumpeter, entrepreneur, valeur, créer de la valeur, économie de marché, idéologie « socialisante », Jobs, Gates, Ellison.


DEXIA EN DÉROUTE: EN RIRE… OU EN PLEURER?

7 octobre 2011

Edito:   Crise bancaire

DEXIA EN DÉROUTE: EN RIRE… OU EN PLEURER?

L’écroulement de la banque DEXIA, promise au couteau des équarrisseurs financiers, est inquiétant car ce genre de phénomènes est souvent un signe avant-coureur de problèmes plus étendus dans le secteur et dans l’économie, mais il suscite  aussi des questions plus immédiates qui, tantôt, peuvent faire grincer des dents, tantôt, peuvent (presque) prêter à sourire….

1ère question : Pourquoi les Autorités de Contrôle, en l’occurrence l’EBA (European Banking Authority) , sont-elles si incompétentes ?    

En juillet, des stress tests furent menés sous la responsabilité de l’EBA et les résultats essentiels furent (tenez-vous bien !) : (1) « tout va très bien, madame la marquise » dans le système bancaire européen, à part de minuscules ajustements à effectuer (€2.5 milliards) sur quelques petites Caixas (Caisses d’épargne en espagnol) et « Landesbanks » ; (2) il y a vraiment de très bons « performers » en matière de « stress tests » qui ont montré un niveau exceptionnel de résistance grâce à l’importance de leurs fonds propres : Dans l’ordre : Banca March (Spain), Irish Life and Permanent (Irlande)…. Danske Bank (Danemark)…. Rabobank (Pays-Bas)…. et ….. DEXIA  en douzième position sur l’ensemble des banques européennes, et avant toutes les autres françaises, avec un « Core Tier1 » (Fonds propres « ultra-durs ») de 10,4%. Comme vous le savez, moins de 3 mois après, les fonds propres supplémentaires à injecter le plus vite possible pourrait s’élever à 200 milliards et l’Allemagne envisagerait même de ressusciter la SOFFIN, organisme de soutien du Système Bancaire allemand mis en place lors de la crise de 2008. Et, DEXIA est à l’agonie !

Bien sûr, il serait facile de se gausser et de faire du mauvais esprit. En fait, c’est très grave parce que cela montre, au-delà de tout ce qui peut vous être raconté, qu’un tel système financier, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, n’est pas maitrisable et donc pas prévisible, comme l’avait vu Maurice Allais  avec tant de justesse.

Deuxième question : DEXIA mérite-t-elle le moindre apitoiement dans sa mise à mort ?   

La réponse est claire : Aucun. Cette firme, issue à l’origine d’un département de la Caisse des dépôts est une création non de chefs d’entreprise mais de fonctionnaires à la recherche de l’aventure et de la fortune…sans risque. Originellement destinée au financement  des collectivités locales (son nom d’origine lors de sa privatisation : « Crédit Local de France » qui, au temps où j’officiais dans les salles de Marché, était une très bonne signature), l’évolution de cette firme a été complètement dévoyée par suivisme, cynisme et, surtout incompétence :  

–         Elle a cru découvrir qu’il y avait une courbe des taux et que prêter long et emprunter court pouvait générer des profits …tant que cela durait, que les taux courts plus bas que les taux longs et, surtout, que les prêteurs vous faisaient confiance è une gestion incompétente du bilan poussé jusqu’à sa limite de rupture ;

–         Elle s’est lancée dans des aventures sur des marchés (Etats-Unis) et des produits (assurances)  inconnus pour elle afin de « faire comme tout le monde » et de grossir sans aucune stratégie cohérente è un management inintelligent ;

–         Dans le cadre d’une stratégie de levier (leverage) imprudente, elle a accumulé par dizaines de milliards des actifs « toxiques » (135) sans en comprendre les risques intrinsèques et les impacts possibles sur ses fonds propres en cas de baisse des prix è une absence de gestion réelle des risques

–         Pour améliorer ses marges, elle a développé des lignes de produits faisant prendre des risques de change et de taux inconsidérés à ses clients peu au fait de la finance è une gestion à courte vue sans principes déontologiques.

 Dans son existence, finalement courte, cette firme n’a créé aucune valeur et n’a eu aucun effet bénéfique pour la collectivité dans son ensemble et les collectivités dont elle devait assurer les besoins financiers. On peut le regretter pour ses salariés, mais cette entreprise n’a plus sa place et son maintien en l’état représenterait un gaspillage de ressources.

Il est difficile, sans connaitre le dossier, de dessiner ce que pourrait être le destin de ses différentes parties qui pourraient trouver preneur : la gestion de fonds, les réseaux de banque de détail en Belgique et en …. Turquie, le portefeuille de prêts sains après avoir apuré le bilan de tous les actifs toxiques regroupés dans une « bad bank ».

Troisième question : Pourquoi l’Etat doit-il toujours intervenir et prendre toujours les risques ultimes à sa charge?

 Dans un système bancaire à réserves fractionnaires, il y a plusieurs raisons à cela :

–         Un tel système ne peut survivre que si les dépôts sont garantis par l’Etat

–         Vu l’interpénétration interbancaire et les interconnections dans le système de paiement et de règlement, la rupture d’un chainon risque d’entrainer tous les éléments de la chaine.

C’est pour cela qu’une réforme radicale a été proposée par des économistes comme Fisher, Friedman et Allais, une réforme qui est abondamment traitée sur ce site.

D’un point de vue pratique ici, il est clair que cette obligation crée un risque considérable pour les deux états en charge du fardeau : la France et la Belgique. Il faut espérer que la « Bad Bank » ne coûte pas trop cher sachant que les temps ne sont guère propices pour la vente d’actifs quels qu’ils soient…. Et que la situation risque d’empirer.

Quatrième question : Ne faut-il pas revoir nos filières de recrutement des dirigeants d’entreprise en France ?

 Mr Richard, le fondateur de DEXIA à partir du CLF et d’une banque belge du même type, était X-Ponts et il a probablement cherché à créer sa propre entité car il n’était pas ENA-Inspection des Finances et, donc ne pouvait aspirer à la Direction de la CdC dont il dépendait à l’époque. Cela lui permettait ainsi d’en remontrer  aux membres de ce Corps qui ne brille pas par sa modestie….   On voit le résultat ici de ce fonctionnement « à la française ».  Nul besoin d’expérience bancaire, de connaissances approfondies, de véritable culture du risque. Un parchemin montrant que vous avez ingurgité beaucoup de connaissances, que vous  savez les utiliser dans des dissertations élégamment présentées et avoir de la répartie au « grand oral »,  suffit à vous qualifier pour diriger des entreprises où chaque opération comporte des risques et nécessite une vision à long terme du métier. Il y a là un véritable scandale dont la prestation de Mr Haberer au Crédit Lyonnais nous avait  déjà donné un avant-goût.

                                                                      *

La déroute Dexia représente en somme un symptôme de toutes les faiblesses de notre système financier : instabilité foncière liée à son propre mode de fonctionnement, impuissance des autorités de contrôle, comportement moutonnier et incompétent des dirigeants, caractère explosif et dramatique des erreurs de ces derniers pour  l’ensemble de la collectivité. En bref, DEXIA est le nième exemple de la nocivité de ce système et de la nécessité d’en changer.

Ch. Gomez

Mots-clefs : Dexia, EBA (European Banking Authority), SOFFIN, « stress tests”, Tier1, « fonds propres « durs », levier/leverage, Actifs toxiques, Crédit Local de France, courbe des taux, transformation, “bad bank”, réserves fractionnaires, Allais, Fisher, Friedman


TOUCHÉ… TOUCHÉ… TOUCHÉ ENCORE… COULÉ?

5 octobre 2011

LA CRISE DE L’EURO

 

TOUCHÉ….  TOUCHÉ…TOUCHÉ ENCORE..… COULÉ?

Comment l’interaction Eurozone/banques-marchés ressemble à une « bataille navale» dont le perdant est connu à l’avance

 

En visionnant une video (3/10/2011)[1] du très remarquable chroniqueur du Financial Times, James MacKintosh, je ne pus m’empêcher, à la lecture d’un graphique montrant l’évolution des CDS (Credit Default Swaps[2]) sur les dettes publiques des pays européens, de penser à ce jeu de société que vous connaissez tous : « la Bataille navale ». Le graphique portait sur l’appréciation des dettes publiques. Mais la même image peut bien sûr s’adapter aux banques et, au-delà à l’euro-zone et à l’économie mondiale. Car, c’est bien de cela qu’il s’agit : de proche en proche, tous les vaisseaux, grands et petits,  de l’économie mondiale sont mis hors de combat.

Les dettes publiques : la dérive vers  la dislocation s’accentue

En ce qui concerne les dettes publiques,  il y avait les petites « vedettes » déjà coulées (Grèce) ou en passe de l’être (Portugal), avec des niveaux de prix des CDS de 600bp et au delà. Il y avait les croiseurs Espagne et Italie très touchés avec des CDS déjà autour de 500bp, alors qu’ils étaient à moins de 200 pour l’Italie en Juin (!). Mais, ce qui était le plus frappant, c’était l’évolution des CDS France et Allemagne, deux pays qui, vous me le concèderez, peuvent être assimilés, dans l’ordre, à un cuirassé et à un vaisseau amiral. La France était à moins de 100 jusqu’en juin mais, depuis, le CDS a commencé à décoller pour doubler en fin septembre, soit le niveau de l’Italie en Juin. Et, enfin, le choc : l’Allemagne elle-même était touchée. Il fallait payer moins de 50 bp pour s’assurer contre sa défaillance de janvier à juin. En début octobre, il fallait 100bp. Certes au niveau des taux d’intérêt payés, ces évolutions ne se traduisent encore par des effets de hausse puissants que sur les pays de la périphérie et l’Allemagne bénéficie pleinement de son statut de « safe haven », le seul pays à inspirer malgré tout confiance. Mais, la France, dont les taux calquaient ceux de l’Allemagne jusqu’à une date récente, a commencé à s’en détacher et les « spreads » (OATs-Bunds) à s’élargir. Qu’est-ce que cela veut dire ?

La réponse est simple : la crise de l’euro-zone ne fait que s’approfondir et, de plans de secours en plans d’urgence, avec des engagements toujours croissants des pays les plus solvables, en particulier de l’Allemagne et les autres pays de l’Europe du Nord, tout le monde est emporté par ce courant qui conduit  la zone euro vers sa  rupture, privée qu’elle est de toutes capacités de redressement, qu’elles soient fiscales (fuite dans le fédéralisme) ou monétaires (accentuation démesurée du financement monétaire par la BCE). On comprend l’Allemagne qui a dû déjà accepter de s’engager autour de 200 milliards dans l’élargissement de l’EFSF (European Financial Stability Facility) et qui résiste à toutes les tentatives pour, par des subterfuges tous plus dangereux les uns que les autres, donner à ce fonds plus de moyens afin de faire face aux crises des dettes des « grands » pays  (Italie, Espagne…. France ?). La situation est d’autant plus dramatique que les Banques sont en première ligne dans cet écroulement.

Les banques dans le tourbillon avant la chute

En effet, vis-à-vis des Banques, le marché joue déjà la défaillance des grands pays, comme l’Espagne et l’Italie. C’est ce qui explique l’effondrement des valeurs bancaires et la montée en flèche des CDS à des niveaux très supérieurs à ceux atteints au « pic » de la crise de 2008-début 2009. Une restructuration de la dette grecque, dont le premier stade est déjà connu, pourrait être absorbée sans trop de difficultés. Mais, des restructurations en chaine de l’Espagne et de l’Italie, avec la France en pointe de mire, ne pourraient être « encaissées » sans un KO technique au niveau des fonds propres. Là aussi, l’image du jeu de la « bataille navale » colle très bien. Dexia est le premier bateau, d’une taille déjà respectable à sombrer, privé de tous les moyens de sauvetage. Les banques Françaises sont sauvagement attaquées, perdant plus de 50% de leur valeur par rapport au début d’année et valorisées maintenant très en deçà de leur valeur comptable (book value). Elles tendent même à devenir des pestiférés comme le montre le fort recul de Morgan Stanley en bourse en début de cette semaine, suite aux inquiétudes liées à son exposition sur les banques françaises. Elles ne se comparent pas très bien à leurs pairs en matière de fonds propres et elles sont très exposées aux pays potentiellement défaillants. Il est symptomatique  que la Commission Européenne qui se scandalisaient, il y a seulement quelques « petites » semaines, à la seule évocation d’une recapitalisation des banques européennes, commence aujourd’hui à infléchir sa position et à dire que finalement….. Mais, en fait, à y regarder de près, c’est tout le système bancaire mondial qui est touché (voir les CDS de Bank of America ou Barclays) et au-delà, c’est toute l’économie mondiale qui est au bord de la conflagration.

L’économie européenne et mondiale en panne sèche en pleine tempête ?

Dans la situation actuelle, les banques font face à une situation exceptionnellement dangereuse et font courir des risques à l’économie mondiale des risques exceptionnellement élevés. En effet, les banques ont des problèmes de plus en plus aigus de refinancement. Au niveau des fonds propres, il est aujourd’hui pratiquement impossible de lever des capitaux, en dehors même des problèmes liés à la dilution des anciens actionnaires vu le niveau actuel des cours. Trouver de nouveaux actionnaires serait très difficile et émettre de la dette subordonnée ne pourrait se faire qu’à des conditions extrêmement onéreuses (et ce n’est même pas sûr de trouver des investisseurs), surtout avec les conditions requises par « Bâle 3 »[3] pour qu’elle puisse être comptabilisée même en « Tier 2 »[4]. Face à une aversion au risque d’un niveau quasiment jamais vu chez les investisseurs institutionnels,  la source de la dette « senior » classique s’est quasiment tarie. Même, la dette « couverte » (« Covered bonds »), largement utilisée dans les dernières années, est vue maintenant avec suspicion et des agences de notation ont commencé à lancer des signaux d’alerte en en soulignant les risques pour les investisseurs. Et, cerise (ou bombe ?) sur ce gâteau immangeable : les banques ne se font plus confiance entre elles et préfèrent placer leurs fonds auprès des Banques Centrales (la BCE mais le Fed est dans la même situation), ce qui conduit chacune d’entre elles à aller se refinancer auprès de l’Institut d’émission en apportant du « collatéral ».  La conséquence de tout ce désordre : la seule variable d’ajustement est la taille du bilan et le crédit. Tous les canaux d’irrigation de l’économie sont asséchés les uns après les autres, les particuliers, les PME et, même les grandes entreprises qui, elles, ont encore, pour les meilleures d’entre elles, la possibilité d’émettre sur le marché à court-moyen-long terme. Un désastre….

                                                                         *

La conséquence de toute cette chienlit économique et financière, c’est que nos économies partent en vrille (image aéronautique après l’image maritime…), dans une spirale incontrôlée. L’écroulement des banques en 2007-2008 a fait exploser des dettes publiques déjà mal en point. Maintenant, les risques sur les dettes publiques poussent les banques au bord du gouffre. Pour retarder l’échéance,  les banques n’ont qu’une issue : couper dans le bilan. Mais, ce faisant, elles asphyxient tous les agents économiques et les problèmes rencontrés par ces derniers, c’est moins d’impôts, plus de déficits publics, des banques de plus en plus fragiles et ainsi de suite….. Et si les économies européenne, atlantique, mondiale devenaient une gigantesque Grèce ? Croyez-vous vraiment qu’il suffira d’imprimer de la monnaie, encore de la monnaie, toujours plus de monnaie …. pour nous en sortir ?

Ch. Gomez

 


[1] Elle avait un titre évocateur. « Time to flee Euro-zone? »

[2] Un « Credit Default Swap » est un contrat entre deux parties où l’une accepte d’assurer l’autre contre un risque de défaillance moyennant une prime annuelle exprimée en basis point (centième de %) égale à 1000€ par €10 millions

[3] Nouveau cadre règlementaire pour régir le fonctionnement des banques (capital, liquidité….)

[4] Eléments du passif bancaire considérés comme du quasi-capital en function de son caractère “junior” (subordonné) par rapport à la dette classique.

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Mots clefs :    CDS, Credit Default Swaps, dette publique, euro, euro-zone, crise, défaillance bancaire, bilans bancaires, économie européenne, économie mondiale, bâle 3, crédit bancaire,  fonds propres des banques, BCE (Banque centrale Européenne), Fed (Federal Reserve Board)          

 

 

 


Edito: EUREKA, EURECA, …EUROCANULAR ?

1 octobre 2011

CRISE DE L’EURO

EUREKA, EURECA, …EUROCANULAR ?

Quelques réflexions sur un « plan miracle » proposé par un cabinet de Consultants

 Roland Berger Consultants (RBC), Cabinet très prestigieux  outre-Rhin, n’était pas bien connu en dehors de l’Allemagne. Maintenant, c’est fait et c’était probablement bien là le but ultime de ce plan élaboré, sans doute à la va-vite  mais avec beaucoup de brio,  pour « sauver » la Grèce et l’euro grâce à une idée lumineuse bien que peu originale : la vente massive d’actifs pour éponger au moins une partie de la dette. Une fois ceci fait, tout deviendrait si simple, vraiment si simple, enfin presque….

Pour bien faire comprendre l’idée, transposons la à la France qui, elle aussi, pourrait faire face à des problèmes comparables avec une dette qui vient d’atteindre 86% de son PIB. Dans le plan RBC, c’est très simple, il faudrait vendre tout ce qui pourrait  être vendu pour atteindre un niveau acceptable de dette qui deviendrait gérable. Donc, imaginons la mise en vente : D’abord, toutes les participations de sociétés cotées (le plus simple), puis SNCF, RFF (Réseau Ferré de France), CEA, les Ports dont Marseille, les Sociétés de Navigation, comme la SNCM, … et, pourquoi pas ?, les Musées (Pompidou, Louvre), …les Châteaux à visiter, …bref tout ce qui serait susceptible de générer des revenus à l’avenir et, donc, qui a une valeur capitalistique ( je ne sais si RBC suggère aussi de vendre les Œuvres d’Art qui, elles, ont une valeur d’usage instantanée et pourraient rapporter gros). Il est facile de se rendre compte immédiatement que, derrière cette liste à la Prévert, chaque actif présente des problèmes spécifiques : (1) il y a des « loss makers » chroniques dont les pertes ne disparaitront du jour au lendemain et qu’il faudra éponger pendant un temps plus ou moins long, (2) des gens qui  sont protégés par des myriades de statuts en « béton » et donc non « ajustables » sur demande, d’autres qui ont des anciennetés qu’il faudra indemniser et (3) des tas de problèmes juridiques à débrouiller…  La liste des actifs grecs à vendre n’est pas donnée par RBC, ni la méthode de calcul de la valeur des actifs et de tous les frais afférents, mais il est facile de présumer que tout ceci a été fait avec une « grosse louche », disons à 50% près ….. avec un objectif bien précis : que ce soit assez « cher » pour se rapprocher de l’objectif requis  de réduction de la dette et sans que cela signifie vendre toute la Grèce « utile » (pour les financiers, bien sûr).

 Passons maintenant à une analyse plus détaillée et plus centrée sur la Grèce en distinguant 5 points.

(1)   Le niveau de départ de la dette : RBC part du niveau actuel de 145% comme si la réalisation de cette vente à une « holding » européenne pouvait se faire demain. Comme nous le montrons en (2), c’est  hautement improbable et il vaut mieux prévoir 1 à 2 ans  minimum, soit un niveau du ratio  Dette/PIB plus proche de 150/160 ( voire plus) que de celui retenu. Bien sûr, en bon financier, il serait toujours possible d’imaginer un « bridge financing » mais vu l’incertitude sur le prix des actifs, cela reviendrait à mutualiser d’emblée la dette grecque au niveau européen contre la promesse d’un collatéral à la valeur bien aléatoire….

(2)    Le prix des actifs dans la transaction : Contrairement au schéma de la « Treuhand »[1], souvent cité, dans lequel  tous les actifs de l’ancienne Allemagne de l’Est avaient été apportés à une valeur nulle puisqu’ils n’appartenaient à personne, il s’agirait ici d’apporter des actifs à une holding détenue par un consortium d’Organismes européens pour un montant de 125 milliards d’euros. Il serait donc nécessaire d’évaluer les actifs et de  déterminer leur prix de transfert. Pour cela, il faudrait : (1) évaluer les postes du bilan (valeur à la casse) (2) évaluer les revenus potentiels de l’entreprise sur un horizon d’au moins  10 ans et toutes les économies, notamment de frais de fonctionnement (personnel en particulier) qu’il faudrait réaliser, (3) estimer toutes les charges de restructuration (indemnisation des employés licenciés par exemple) et régler les problèmes de prise en charge des droits à la retraite. …. Bref, faire un vrai « business plan » dont dépendra en définitif le   prix à payer pour chacun des actifs, sachant que le prix à payer sera : valeur estimée de l’actif- dettes reprises…. Une petite nuance dont il faut tenir compte car, on peut présumer que toutes ces entreprises croulent sous les dettes et que l’on trouvera très souvent, après redressement des  comptes, des valeurs nettes négatives.  JE PRETENDS QUE, MÊME EN ENGAGEANT TOUTES LES BANQUES D’INVESTISSEMENT DE LA   PLANÈTE, IL FAUDRAIT AU MOINS DEUX ANS POUR DÉBROUILLER TOUS LES PROBLÈMES ET TRACER DES PERSPECTIVES CLAIRES POUR CHACUN DES ACTIFS RETENUS.

(3)   A SUPPOSER CES PROBLÈMES RÉSOLUS, EST-CE QUE LE PROBLÈME DE LA DETTE SERAIT EN VOIE DE RÉSOLUTION ?  Certes des économies seraient réalisées sur le paiement des intérêts de la dette et sur les remboursements à effectuer, mais la dette resterait encore aux alentours de 100% (peut-être plus encore compte tenu de tous les nouveaux coûts extériorisés par le processu d’évaluation,  que le budget devrait prendre en charge, comme les régimes de retraite des entreprises publiques « vendus » par exemple) dans un contexte qui resterait très dépressif (voir point 4). Il est plus que probable que les taux d’intérêt sur la dette restante seraient supérieurs au taux de croissance de l’économie et que la dette se remettrait à croitre à nouveau sauf à dégager un excédent primaire significatif, ce qui accroitrait la pression déflationniste dans un contexte marqué par un taux de chômage extrêmement élevé (toute l’économie grecque serait en restructuration, avec dégraissages massifs)

(4)    LE TAUX DE CROISSANCE POSTULÉ APRÈS RESTRUCTURATION (+5% CONTRE -5%/-7% ACTUELLEMENT) EST COMPLÈTEMENT IRRÉALISTE : Il a été en fait calculé pour les besoins de la cause en postulant que (1) les fonds liés à la restructuration de l’appareil productif, qui s’ajouteraient aux fonds d’aide européens, joueraient un rôle de stimulus ; (2) les banques, débarrassées, au moins pour une part, des obligations publiques qu’elles détenaient, se remettraient à prêter, réamorçant ainsi la machine économique. En fait, réfléchissons un peu : (1) le problème de la non-compétitivité de la Grèce n’aurait pas été résolu ; (2) la politique budgétaire resterait globalement déflationniste avec  la poursuite des économies budgétaires et des tentatives de faire mieux rentrer des impôts augmentés ;  (3) les agents économiques, dans une économie en pleine restructuration, auraient plutôt tendance à se retrancher et à augmenter leur « bas le laine » ; (2) l’impact net des fonds de restructuration serait moins important qu’il n’est dit car ils seraient versés une fois (multiplicateur bien éphémère dans le contexte que nous venons de décrire), les fonds européens ayant, eux, un impact conjoncturel nul puisqu’ils existent déjà, (3) De plus, il faudrait que, très rapidement,  des dividendes prennent le chemin de la holding pour que celle-ci puisse rembourser les apporteurs des 125 milliards.

(5)   ….ET BIEN SÛR, TOUT CELA SANS COMPTER LES OBSTACLES SOCIAUX ET LES PROBLÈMES POLITIQUES :   les gens ne vont pas voir tout remis en cause, y compris leurs libertés politiques,  sans réagir dans une Grèce qui deviendrait une espèce de « colonie » d’un consortium européen, avec des « gauleiters » (comme l’actuelle « Troïka », la bien nommée) européens, à dominante allemande, venant « casser les reins » des syndicats grecs. Il faut ici laisser nos lecteurs à leur imagination……

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Au début de la crise, des journaux allemands avaient suggéré à la Grèce de vendre toutes ses îles à des investisseurs internationaux et cela avait fait jaser et …. frémir les grecs. Or, ce plan est un « remake » de la même idée, présenté de manière plus sophistiquée, avec tout le brio et la côté bonimenteur des grands professionnels du « Consulting » et Roland Berger Consulting fait partie de ceux-là. Qu’une telle idée ait pu être prise au sérieux et rapportée dans de grands journaux et dans d’autres grands media comme un possible remède miracle pour résoudre la crise européenne et écraser les « méchants spéculateurs »  montre la profondeur de la désespérance de certains milieux pro-européens mais aussi une  incompétence problématique.  Heureusement, Angela Merkel et Wolfgang Schaüble ne font pas partie de ceux-là et gardent « la tête sur leurs épaules » !

Christian Gomez


[1] Treuhand : organisme chargé au début des années 90  des opérations de restructuration et de privatisation des entreprises industrielles et commerciales d’Allemagne de l’Est.