Il résulte de l’article III-314 que non seulement la Constitution envisagée ne protège en aucune façon contre les excès du « libéralisme », mais au contraire que la Constitution projetée institutionnalise la suppression de toute protection des économies nationales de l’UE (…) L’application inconsidérée, à partir de 1974, de l’article 110 du traité de Rome a conduit à un chômage massif sans aucun précédent et à la destruction progressive de l’industrie et de l’agriculture.
Suivant les avis les plus autorisés, à gauche comme à droite, le projet de Constitution, s’il était adopté, représenterait un rempart majeur contre » les excès du libéralisme » . Une confusion essentielle résulte ici de la signification attribuée au mot libéralisme. En fait, la doctrine libérale est une doctrine politique destinée à assurer les conditions, pour vivre ensemble, des ressortissants d’une collectivité donnée. Mais, dans les discussions actuelles, le » libéralisme » correspond à ce qu’il conviendrait plutôt d’appeler la » chienlit laisser-fairiste » . Il convient donc de mettre entre guillemets le mot » libéralisme » , tel qu’il est utilisé actuellement par les principaux partis politiques.
Je me bornerai ici à deux exemples particulièrement significatifs, parmi une multitude d’autres. Le 24 mars, Jack Lang a présenté sur RTL un exposé passionné soutenant que la seule protection contre » les excès du libéralisme » était l’adoption du projet actuel de Constitution. Le même jour, la presse faisait état de la » charge de Jacques Chirac contre l’Europe libérale » , en s’appuyant précisément sur la protection qui serait assurée par le projet de Constitution contre les excès de l' » Europe libérale » .
En réalité, il y a là une erreur fondamentale. En fait, l’article III-314 du projet de Constitution stipule : » Par l’établissement d’une union douanière, conformément à l’article III-151, l’Union contribue, dans l’intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres . » Il résulte de cet article que non seulement la Constitution envisagée ne protège en aucune façon contre les excès du » libéralisme » , mais au contraire que la Constitution projetée institutionnalise la suppression de toute protection des économies nationales de l’UE.
L’article III-314 du projet de Constitution ne fait que reproduire les dispositions de l’article 131 du traité de Rome du 25 mars 1957. Article 110 : » En établissant une union douanière entre eux, les Etats membres entendent contribuer conformément à l’intérêt commun au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et à la réduction des barrières douanières . »
Il est simplement ajouté, dans l’article III-314 du projet, » la suppression progressive des restrictions aux investissements étrangers directs » . En réalité, comme je l’ai démontré dans mon ouvrage de 1999 « La Mondialisation. La destruction des emplois et de la croissance. L’évidence empirique » -éd. Clément Juglar, 1999-, l’application inconsidérée, à partir de 1974, de cet article 110 du traité de Rome a conduit à un chômage massif sans aucun précédent et à la destruction progressive de l’industrie et de l’agriculture.
De là il résulte que l’argument présenté de toutes parts par les partisans du oui à droite et à gauche de la protection que donnerait le projet de Constitution à l’encontre des excès du « libéralisme » est dénué de toute justification réelle. Non seulement les partisans du oui trompent ceux qui les suivent, mais ils se trompent eux-mêmes.
On constate ici à nouveau la justesse de l’adage antique : » Celui qui se trompe se trompe deux fois. Il se trompe parce qu’il se trompe et il se trompe parce qu’il ne sait pas qu’il se trompe » et la profonde vérité de l’affirmation de Rabelais : » Ignorance est mère de tous les maux . »
Pour être justifié, l’article III-314 du projet de Constitution devrait être remplacé par l’article suivant : » Pour préserver le développement harmonieux du commerce mondial, une protection communautaire raisonnable doit être assurée à l’encontre des importations des pays tiers dont les niveaux des salaires au cours des changes s’établissent à des niveaux incompatibles avec une suppression de toute protection douanière. »
Publié par Le Monde, édition du 16 mai 2005